Histoire d’un rookie à la Big Wolf’s Backyard de Cacouna

Il fallait bien que je me lance dans l’arène de ce jeu un peu fou. Courir 6.7 km à chaque heure et profiter du temps restant pour se reposer, manger et prendre soin de soi. Le jeu se termine quand un coureur complète la boucle seul. Tant qu’il y a quelqu’un en piste, le jeu se poursuit.

Pour cette aventure, vous ne trouverez pas mes traces Strava. Pourquoi m’encombrer d’une technologie quand l’heure sur ma montre est suffisante pour me donner des temps de passage? En fait, j’étais peu intéressé par les chiffres autres que mon temps à la mi-parcours, au petit pont et au tas de roche. Pas besoin de connaître ma vitesse. Souvent, je ne savais même pas dans quelle boucle j’étais et encore moins le nombre de kilomètres parcourus. Et c’était parfait car ce qui comptait c’était la boucle que je parcourais.

Pour que cette course soit une réussite, chaque coureur doit compter sur un crew, une personne dédiée et dévouée au coureur lors de sa transition entre la boucle terminée et celle à venir. Cette personne est indispensable pour encourager le coureur, s’assurer qu’il ingère suffisamment de calories et de liquide, aider le coureur dans ses changements de vêtement et surtout pour éviter qu’il ne se réveille pas à temps d’une courte sieste. Je pouvais donc compter sur mon ami François (Chagnon) dans ce contrat prenant et épuisant.

Avec mon crew François. Photo: Dave Dupéré – Big Wolf’s Backyard

Les préparatifs

Je n’ai fait aucune préparation ni entraînement spécifique pour cette course. Par contre, tous les grands défis que j’ai réalisés dans le passé sont de bons points de repères et peut-être même des balises pour me guider vers ce premier Backyard.

Dans les aventures de longue distance, on espère toujours être dans la meilleure condition physique, 100% prêt, un corps sans bobo. C’est rarement le cas. Lors de mes aventures et courses d’ultra-marathon, j’ai souvent pris le départ avec une blessure. J’ai alors appris à composer avec ce que mon corps avait à m’offrir. En près de 50 ultra-marathons, mes seuls deux abandons, et bien, c’est une décision réfléchie et non à cause d’une blessure. Mon corps se renforce au fil des kilomètres. Et même avec une bursite/tendinite au tendon d’Achille du pied droit qui me nargue depuis près d’un an, je vais courir intelligemment (Ha! Ha!) et je suis persuadé que je ne vais pas l’aggraver. Mon corps n’est peut-être pas 100% en forme mais ma tête l’est. Et pour optimiser ma condition physique à la Backyard, un bon taper/affûtage est de mise. Vaut mieux arriver sous-entraîné que surentraîné.

Je n’ai pas vraiment d’objectif à la Backyard. Je crois être capable de m’approcher de 50 heures avec peu de sommeil. Je ne veux surtout pas aller aussi profond que je l’ai été au Spartathlon ou lors de mon premier 100 milles au Vermont 100. Je jugerai selon mes sensations lors de la course. Je veux être en pleine forme pour poursuivre ma quête des North-East 111 avec ma copine. L’ascension du mont Katahdin et des 13 autres sommets du Maine, c’est dans 3 semaines.

Avec mes défis longue distance Avançons tous en cœur, j’ai déjà une bonne idée de ce que j’aurai besoin durant ma course. Durant toute la semaine précédant mon départ pour Cacouna, je réuni mon matériel, mon linge, ma nourriture et mes liquides. Beaucoup de bacs et de sacs s’entassent dans ma maison. Je sais quand la course va débuter mais je ne sais pas quand elle va se terminer. Je dois être prêt à tous les caprices de la météo; jour, soir et nuit. Et je dois avoir une bonne variété d’aliments pour diversifier ce que je vais manger. Malgré toute cette diversité, comme dans mes autres défis, mon alimentation va probablement se limiter à quelques items seulement. Je vous en partage certains inhabituels : eau de noix de coco, avocats, poutines, muffins au thon.

Cacouna, me voilà

Vendredi. Petit road trip vers le Bas-St-Laurent. Mon mini-van est chargé. Un trajet d’environ 4h pour me rendre au site du départ, l’héliport près du fleuve à Cacouna-Est.

Alors que j’amène ma chaise pour m’installer dans la grande tente avec les autres coureurs, je croise Louis (Arcand). Il m’invite à établir mon camp avec lui et Pierre (Lequient), le King du Bromont Ultra. Ces 2 coureurs vétérans ont accumulé beaucoup d’expériences en course et ont déjà cassé la glace avec le format Backyard. Ils me seront d’une aide précieuse dans mes premières boucles.

Après un bon souper à La Griffe de Rivière-du-Loup avec mon crew François, je retourne dans mon mini-van pour y passer une bonne nuit. C’est au son de la pluie et du tonnerre que je m’endors en espérant que ce soit moins orageux au lancement de la course.

Une Backyard en trois temps

Boucles 1 à 20 : the quintet

Samedi matin à 9h, le départ est lancé. Nous sommes 122 à piétiner le parcours de 6.7 km de Cacouna – L’Isle-Verte. Chacun établit son rythme : sa vitesse de course et ses moments de marche. Telle une vraie recrue, j’observe les faits et gestes des coureurs et je me plie à la cadence de mes deux mentors.

Rapidement, notre trio devient un quintet. Nicolas (Roy) et Charlotte (Levasseur-Paquin) se joignent à nous. Ils sont tout aussi nouveaux que moi dans la Backyard. Nicolas est mon voisin de gauche dans la grande tente. Sa plus longue distance à vie est 80 km. Charlotte est une aventurière aguerrie. Elle détient le FKT (fastest known time) féminin du GR-A1 du Sentier International des Appalaches : 650 km en 10 jours en autonomie complète. Sa plus longue distance en course est de 110 km. En équipe, nous allons les amener bien au-delà de leurs marques personnelles.

The quintet. De gauche à droite: Pierre, moi, Charlotte, Louis et Nicolas.
Photo: Dave Dupéré – Big Wolf’s Backyard

Le temps file rapidement en bonne compagnie. Parfois, on se joint à d’autres coureurs. Nous sommes encore tous lucides pour avoir des discussions censées. Nous complétons chacune des boucles en 45-48 minutes ce qui laisse beaucoup de temps pour manger et s’hydrater. La nuit arrive. J’essaie de dormir mais impossible de tomber dans les bras de Morphée. Je ne ressens aucune fatigue quand je cours. Je dois donc me contenter de ces moments de tranquillité, les yeux fermés, une pause avant de m’activer et me diriger vers la ligne de départ.

Afin de m’assurer de la présence de mes acolytes jusqu’à l’aube, je leur promets une chanson pour la boucle de 2h du matin, la 18e. Pendant 4-5 heures, je laisse planer le suspense. Une chanson sur l’amitié lors de moments difficiles. Ceux qui m’ont suivi dans un autre de mes défis en 2020 connaissent bien cette chanson. La nuit qui avance, le sommeil qui se fait rare, les kilomètres qui s’accumulent, la douleur dans les muscles. Voilà toutes les difficultés que nous devons tous affronter. Aussi bien les braver avec des amis, avec le sourire, unis pour accueillir le lever du soleil dans peu de temps.

When the night has come
And the land is dark
And the moon is the only light we’ll see
No, I won’t be afraid
Oh, I won’t be afraid
Just as long as you stand
Stand by me

Stand by Me, Ben E. King

Et puis, tranquillement, notre groupe de cinq se dissout. Charlotte, puis mes mentors Louis et Pierre et finalement Nicolas.

Boucles 21 à 39 : en solo

La transition est difficile sans mes compères. J’annonce même mon intention d’arrêter face à la redondance des boucles à répéter. Maudit qu’un 100 milles c’est long. Un 80 km, c’est la distance idéale. Mais, je décide de poursuivre et de réévaluer.

Je me retrouve un peu plus souvent au-devant dans chacune des boucles. Je jase avec d’autres coureurs. Les tours avancent. Je prends en main mon rythme de course et de marche. Maintenant que la tente se vide suite aux abandons, j’agrandis mon espace de campement. Je m’octroie des périodes de repos…sans vraiment réussir à dormir. La pluie et le tonnerre se mêlent de la partie. Les abandons se poursuivent. Mais je continue ma routine : courir, me reposer, manger, me masser. Je bénéficie toujours de l’aide de François, fidèle au poste. Depuis plusieurs heures, il n’est plus question d’abandonner. Mon talent, c’est la course longue distance. Je vais l’exploiter. Ma foulée est certainement moins fluide mais j’effectue mes boucles en 48-50 minutes. Les kilomètres des dernières boucles sont mêmes plus faciles que ceux tout près du 100 milles. Les abandons se poursuivent.

11 coureurs puis 9 puis 7 puis 6 puis 4 puis 3. Finalement seulement 2 coureurs quittent pour la 41e boucle.

Boucles 40 à 45 : en duo

Dès la boucle 40, en pleine nuit, je retrouve mon comparse de Sherbrooke, Marco (Poulin). Jusqu’à maintenant, on n’avait fait que quelques portions de parcours ensemble. J’ai l’impression de revenir 3 ans dans le passé. En mai 2020, Marco m’avait rejoint sur mon grand cœur lors de l’événement Avançons tous en cœur. J’avais alors parcouru 305 km en 51 heures. Il en avait couru une vingtaine. Son histoire m’avait touché. Être témoin de mon défi, l’avait motivé à se lancer dans la course longue distance. Je l’avais invité pour la 2e édition de l’événement en octobre 2020, une grande odyssée de 425 km que j’ai courue en 77 heures. Marco m’a alors accompagné durant toute l’aventure tout en courant 250 km. Il avait alors rempli son contrat d’assister l’oie capitaine dans sa mission. Tout un scénario que de se retrouver les deux seuls survivants à Cacouna.

On décide de se soutenir pour la nuit. Je ne ressens aucunement la fatigue lors de la portion course mais à plusieurs reprises, je dois ramener Marco sur le chemin.

 » Marco? Marco! Tu t’en vas dans l’champs. Reviens sur le chemin. »

Il titube. Il s’endort debout presque.

Les objectifs sont quand même atteints un à la fois. Record personnel pour Marco à 43 boucles tout en égalisant le record du parcours. Puis record du parcours avec la 44e boucle complétée. 45e boucle complétée dans les temps. Tout semble bien aller en ce début de journée. Et puis, on entame la 46e boucle et après 1 km, je laisse Marco poursuivre son chemin. Un moment rempli d’émotions où après une accolade, je regarde Marco s’envoler sur le parcours et, moi, je retrace mes pas vers le campement, lui concédant ainsi la victoire.

Retraçant mes pas, en boitant vers le camps principal. Photo: Dave Dupéré – Big Wolf’s Backyard

Mais que s’est-il passé?

Dans ce premier kilomètre, j’ai développé une douleur au niveau du genou droit (patte d’oie). Je boitais à la marche. J’essayais de trottiner. En vain. Marco demeurait avec moi. Après 1 km, je me suis arrêté. Je ne voulais pas retarder Marco dans sa boucle et je ne voulais surtout pas ignorer cette douleur qui pourrait compromettre mes prochains défis.

Malgré cette explication, plusieurs personnes connaissant mes réalisations savent que je suis très tolérant à la douleur. Si je pousse encore plus ma réflexion, je crois qu’une ouverture s’est créée dans la forteresse de mon mental. Après la 43e boucle, j’ai manqué de temps pour bien masser mes jambes. Ça m’a miné durant la 44e boucle. La 45e boucle a été extrêmement éprouvante. Ma bête noire s’est manifestée. En fait, mes bêtes noires. Pas très grosses mais qui t’attaquent par centaines. Ostie d’maringouins !!! Je n’avais pas mis de chasse moustique car à la fin de la 44e boucle, ils ne s’étaient pas encore montrés. Tout a changé en 5-10 minutes…J’ai été brisé. Probablement plus vulnérable à mes sensations comme cette douleur au genou.

Chaque moment se construit sur le précédent et personne ne peut prédire ce qui suivra.

James Redfield, La Prophétie des Andes

Oui, je me pose la question : Et si j’avais marché encore un peu, j’aurais peut-être réussi à compléter la 46e boucle?

On est seul sur le parcours. Personne pour nous encourager. Et je n’ai pas réussi à puiser dans les stratégies observées durant toute la journée. Celle de Cédric (Chavanne) m’aurait été très utile. Mais toute ces spéculations sont sans importance. Je me rassure dans ma décision car dans l’heure qui a suivi, alors que j’étais confortablement installé dans ma chaise, j’ai perdu connaissance.

Épilogue

1er constat : Durant la Backyard, j’ai réalisé que mes récents choix d’activités sportives ont grandement contribué à mon succès dans cette course. Le transfert de certains entraînements vers le ski de randonnée et le vélo a permis un peu de repos aux impacts répétés de la course. Mais, c’est surtout la quête des hauts sommets du Nord-Est des É-U (NE-111) avec ma copine Annie-Claude en mode randonnée rapide qui m’a permis d’acquérir une vitesse de marche si importante dans une Backyard car on y alterne la course et la marche.

2e constat : Me joindre à 4 autres coureurs a été un très bon choix. Le début de course, ces premières vingt heures, cette première nuit, ont passé excessivement vite, avec peu de souci dans la tête et peu de douleur dans le corps.

3e constat : La vie nous réserve toujours des surprises. Alors que l’organisation nous promettais que de l’eau, j’ai été émerveillé d’être accueillie par des Grill-Cheese et des Hot-Dog. Merci pour ces belles surprises. Ça complétait bien mon alimentation avec ma poutine.

Une alimentation saine pour un défi gigantesque. Photo: François Chagnon

4e constat : Une bouche remplie de brownies, ça ne donne pas les meilleures photos.

Photos: Dave Dupéré – Big Wolf’s Backyard

5e constat : Le temps s’écoule à un rythme différent dans une Backyard. Lors de mes « siestes », j’avais toujours peur d’avoir dépassé la marque de 55 minutes et pourtant, il me restait toujours 2-3 minutes avant l’alarme. Et lors des mes boucles, lorsque je percevais le turnaround au loin, en pensant être plus lent que d’habitude, j’y arrivais toujours en 23-24 minutes. Et 5 minutes pour manger, boire, se masser, se changer, s’est amplement de temps si on est bien discipliné. Merci à mon crew François pour ça.

6e constat : My god qu’on pisse beaucoup dans une Backyard. Aucun doute, j’étais bien hydraté. À chaque tour, je terminais ma boucle en allant uriner.

7e constat : Cette « course » de 302 km aura été la plus facile de toutes mes courses de 160 km et plus. Like a long walk in the park with a lot of rest.

Finalement :

Mon premier Backyard était une exploration de quelques facettes de ce jeu. J’y ai joué avec prudence, prêt à abandonner si je n’y trouvais plus de plaisir. Et c’est correct de prendre cette décision, le cas échéant. Même si je n’ai pas puisé dans mes réserves, j’y ai fait beaucoup d’apprentissages. Une fun run dont je suis très satisfait. Une 2e position en 45 heures et 302 km dont je suis très fier. La 2e meilleure performance sur le parcours et la 3e meilleure performance québécoise. La course longue distance, c’est mon laboratoire. Mon laboratoire pour y développer ma résilience ou simplement pour m’y découvrir. Pour encore mieux réussir au jeu de la Backyard, en exploiter tous les recoins et y faire tous les apprentissages sur soi, il faut s’y abandonner totalement. S’y immerger entièrement. En faire SA course et se libérer des barrières qui nous limitent et surtout trouver le courage d’avancer malgré tout. Seulement là, je pourrai dire que j’ai joué le grand jeu de la Backyard.

Big Wolf’s Backyard Cacouna, merci pour tout.

Merci aux bénévoles.

Et à l’an prochain.

Photos: Dave Dupéré – Big Wolf’s Backyard

Ce contenu a été publié dans Uncategorized. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire