Bromont Ultra 160 km – Comment bien saboter une première position?

À 150 mètres du finish, j’ai décidé de me soulager. Je trainais cette envie d’uriner depuis près d’une heure. Tout ce que j’avais à faire, c’était de passer l’arche et j’aurais été déclaré vainqueur de la course. Cette pause pipi aura permis à mon poursuivant de me rattraper et de me coiffer au sprint dans ce dernier 150 mètres. J’ai été déçu. Mais ce fut très bref. Dans la minute qui a suivi, je me suis dit que ça me fera une belle anecdote de course : Un pipi lui coûte un voyage en Italie. Eh oui, le gagnant s’envolera pour l’Italie à la Dolomiti Extreme Trail en juin prochain.

La course est mon terrain philosophique et d’apprentissage. Je crois avoir trouvé une signification plus profonde à ce sabotage de première classe. Alors, suivez-moi dans ma réflexion.

Pour que ma course se déroule à merveille, je devais être honnête avec moi-même. Dans mes rencontres d’avant-course, sous le chapiteau, lorsque les gens me demandaient « comment ça va? », je leur répondais « pas vraiment bien ». Beaucoup avaient une oreille attentive. Aucune blessure physique importante. Bien que je traîne une tendinite au tendon d’Achilles à droite depuis un an, j’ai appris à connaître mes limites avec celle-ci, je l’ai testée sur différents terrains mais j’ai surtout réalisé que je n’aggravais rien avec toutes mes aventures de course. J’ai plutôt vécu une situation plus difficile sur le plan personnel. Dans les dernières semaines, j’ai ressenti une douleur intense, un vide. J’étais épuisé, déchiré, écrasé sous ce poids d’émotions. Je suis humain après tout.

Alors, pourquoi me lancer dans une course de 160 km avec un dénivelé positif imposant (7000 m) et des conditions météorologiques effroyables annoncées avec une pluie constante et une chute du mercure me mettant à risque d’hypothermie?

La course est mon laboratoire d’entraînement à la résilience. Je devais rebâtir ma confiance en accomplissant quelque chose d’extrême mais bien réfléchi. Pour amener un certain paradoxe : courir 24 heures pour retrouver ma vitalité.

Célébrer là où j’aime me retrouver, en nature. Célébrer en faisant ce que j’aime, courir.

Aucune douleur physique ne pouvait être plus importante que la douleur que je vivais.

Aucune épreuve mise sur mon chemin ne pouvait être surmontée.

Cette course, j’étais pour la vivre à fond. Un long moment privilégié avec moi. Les sens à l’affût et danser dans les sentiers. Et toujours regarder devant.

Tout allait bien jusqu’au 115e km (ravito Chez Bob 2.0). Depuis le 60e km, j’étais aux commandes de la course. Au 80e km et surtout au 115e km, voyant que je perdais mes précieuses minutes d’avance sur mon poursuivant car je prenais plus de temps pour changer mes vêtements, je me suis mis en mode compétitif. J’étais pourchassé et je devais me sauver. Je n’étais plus dans le même mindset que les premiers 115 km.

Je devais retrouver l’état d’esprit dans lequel j’étais en début de course.

Il n’y a aucun hasard. Cette pause pipi à 150 mètres du finish, mon subconscient me l’a imposée. Je devais éloigner les projecteurs de la signification d’une première position. Au BU 160, je ne courais pas pour gagner. Encore moins pour un voyage en Italie. Je courais pour moi. Cette pause peut aussi signifier que je voulais retarder le moment de terminer ma course, l’arche d’arrivée représentant ici un retour à mes émotions douloureuses.

Mon BU 160 aura été mon 100 milles le plus facile à vie…malgré les conditions horribles avec la pluie, le froid, le brouillard et des sentiers boueux et glissants qui ont amené l’abandon d’une centaine de coureur sur les 120 au départ. Au moment où ma course a eu lieu, rien ne pouvait être pire que ce que j’avais vécu dans les semaines précédentes. Je n’ai eu aucune pensée négative durant ma course, aucun doute sur « pourquoi je fais ça ». En prenant le départ du BU 160, je savais que j’étais pour franchir le fil d’arrivée.

En terminant 2e, je pouvais mettre les phares sur ce que représentait réellement cette course. Je n’ai pas gagné la course mais j’en ressors gagnant. Une fierté et une confiance plus grandes que la première marche d’un podium. Mais tout n’est pas résolu. Il demeure une fragilité avec laquelle je dois composer.

Bien que j’aie fait la course entièrement seul, je tiens à remercier tous les bénévoles rencontrés sur le parcours. Je tiens aussi à remercier l’équipe du cinéaste Jonathan Goyette qui a capté des images pour un futur documentaire.

Merci aux organisateurs du Bromont Ultra (Gilles Poulin, Erick Grandmont et Bruno Poirier). Cette course arrivait au bon moment dans ma vie et elle se hisse au top de mes expériences de course.

Bon. Assez écrit. Maintenant, je dois aller faire pipi.

Trace Strava

Propulsé par Le Coureur

Photos: Benjamin Schiavi-Paris

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