Vermont 100 : Un long jogging de 150 km et une accélération de 10 km

« You’ve lost 6% of your weight. You need to drink. If you lose more weight… well, you know what happen… »

10551959_4485605115535_607241650_nMe voilà au Camp 10 Bear. Mon 2e passage à ce ravitaillement. Bien assis sur ma chaise. Je cours depuis 4h du matin. Il est maintenant 15h. Onze heures de course pour parcourir 115 km. Il en reste encore 45 km. J’y arrive 10 minutes plus tôt que l’an passé. Mais, l’an passé, mes quadriceps étaient déjà finis à cette étape. Durs comme du roc. Douloureux. Incapables de courir. Mais aujourd’hui, j’arrive à ce ravito après avoir dévalé la pente qui y mène sans douleur et rempli d’énergie. L’an passé, je n’arrivais pas à manger. Juste à penser à mes gels, j’avais des hauts le cœur. Mais aujourd’hui, mes boissons et mes gels Pro Circuit ont toujours bon goût. Depuis le 95e kilomètre, j’ai même ajouté mes gels X4 – Caféine. L’an passé, le défi de ces 45 derniers kilomètres me semblait immense. Aujourd’hui, j’ai la certitude que je vais les compléter et que je vais améliorer mon temps sur cette section.

Mais avant de repartir, un membre de l’équipe médicale m’annonce que j’ai perdu 6% de mon poids. À 7%, il peut décider de mettre un terme à ma course. Pourtant, le poids noté la veille est de 4 lbs au-dessus de mon poids habituel. Trois heures de route à manger et boire en sont peut-être la raison. De plus, j’arrive à uriner une urine claire à chaque heure. Et, je suis toujours alerte et lucide. Bon, vous pensez peut-être que ce n’est pas la meilleure démonstration de lucidité que de courir un 100 milles… Mais je me sens bien et c’est l’important. Par contre, je vais transporter ce doute avec moi jusqu’à la prochaine pesée, au ravitaillement Bill’s au kilomètre 145.

Un autre obstacle que ma tête devra gérer. Un peu plus facile que ce que j’ai vécu très tôt dans la course.

« Take it easy… »

10554964_10152213927861837_1852750819_nLa course avait bien commencé. Un beau départ à la frontale. Mais, à peine 30 minutes dans la course, je réalise que mes jambes ne sont pas au rendez-vous. Lourdes. Sans énergie. Aucune force dans les quadriceps. Mon ischio-jambier et mon mollet gauche sont raides. Je dois ralentir ma foulée. Mentalement, la course devient difficile aussi. Déjà. Il me reste encore 16 heures de course… J’ai des doutes. Je ne m’amuse pas du tout. Me suis-je bien entraîné pour cette course? Et pourtant, j’avais bien réduit l’intensité et le nombre de sorties dans les semaines précédentes. Mon corps était bien nourri. Il réclamait des fruits et des légumes les jours avant la course. Beaucoup de fruits et beaucoup de légumes. Comme s’il se préparait au défi à venir. J’étais bien reposé aussi. J’avais cumulé beaucoup d’heures de sommeil. Beaucoup plus qu’à l’habitude. Et j’avais nourri mon esprit. Musique. Relaxation. Escapade en refuge au Mont Mégantic avec mes enfants. Bon, ce n’est pas toujours relaxant 3 enfants, mais dans la nature, autour d’un feu, on décroche du quotidien en tout cas…

Mont Mégantic 2Mont Mégantic 3

Habituellement, on veut commencer ce genre de course avec des jambes fraîches. Mais là, c’est comme si j’avais fait un entraînement super intense 2 jours auparavant. Mais que s’est-il passé il y a 2 jours? Je revenais de mes 2 nuits en refuge et… Merde! Le pédalo. Un professionnel ePédalon pédalo vous dira qu’il n’est pas recommandé de faire une course de 100 milles quelques jours avant une compétition de pédalo. Et bien, moi je vous dis qu’il n’est pas prudent de faire du pédalo quelques jours avant une course de 100 milles. Je m’en veux. Et si je n’avais pas fait de pédalo…? Pourquoi je suis allé faire ça…?

Puis dans une longue descente vers le pont de Taftsville, un peu après le kilomètre 20, un duo du Massachussetts me rattrape : Brian Rusiecki, qui va gagner l’épreuve en un temps record et Samuel Jurek, un coureur que j’ai eu la chance de croiser au Stone Cat. Brian m’avouera après la course qu’il me percevait comme une menace pour cette course mais lorsqu’il m’a vu, il a rapidement compris que ça n’allait pas. Sa question « How’s everything going so far? » était certainement pour confirmer que je n’étais plus dans le coup. Il m’a quand même rassuré en me disant : « Take it easy… It’s still early… It can change ». Puis, les 2 ont filé devant. Je ne reverrai plus Brian mais Samuel, oui.

Avant d’arriver au premier ravitaillement où mon équipe de soutien m’attend, un autre coureur, de la Virginie cette fois, semble aussi avoir décelé que j’en arrache. « Try to be comfortable… ». J’essaie. J’essaie.

10555181_10152213931451837_1936019155_nEnfin, au ravitaillement Pretty House au kilomètre 35. Mon équipe m’accueille. François, un ami du secondaire, et Chantal et Josée, 2 coureuses de la région de Sherbrooke, réalisent rapidement que ça ne va pas. Je change de gourdes, mange un peu, les informe de mes douleurs. Mon temps de passage; un peu plus rapide que l’an passé. Ça me rassure. Et pourtant l’an passé, j’avais couru comme un fou au début… Ils m’encouragent. « Vas-y à ton rythme. »

« Vas-y à ton rythme. »

Ouais. C’est une bonne idée. Je dois changer mon approche pour mieux vivre ma course. Je me dis alors : « Le pédalo, ce n’était pas une bonne idée, mais c’était une belle activité avec tes enfants. Tu n’as peut-être pas les jambes que tu veux mais composes avec ce que tu as maintenant. Bâtis ta course sur ces jambes… pas sur celles que tu voudrais. Et oublies le sub-16h pour l’instant. »

Courir à mon rythme.
Faire ma propre course.
Demeurer conservateur dans ma foulée pour ne pas aggraver ma crampe à l’ischio-jambier et au mollet.

La section qui suit, celle entre Pretty House et Stage Road jusqu’au kilomètre 50, j’en gardais un très bon souvenir. Et quand j’arrive au sommet de la colline, je me rappelle alors la petite bruine de 2013. C’est aussi là que j’avais pris la tête de la course ce que je m’étais promis de ne pas refaire cette année. Aucune chance de prendre la tête de toute façon. Mais cette section en sentiers me fait du bien et me redonne beaucoup de vigueur. Avant d’arriver au ravito, je dépasse Samuel qui semble ralentir.

course mapPuis, comme le parcours du Vermont 100, j’ai des hauts et des bas. Certains kilomètres ça va d’autres sont plus difficiles. Dans une longue montée interminable, Samuel me rattrape à nouveau. Alors que nous marchons, un autre coureur nous rejoints. C’est Joan. Il semble en pleine forme. Tous les trois, nous jasons un peu. Avant la fin de cette montée, les 2 coureurs s’éclipsent. Je les laisse filer. J’avais décidé d’aller à mon rythme… et je suis toujours dans mes temps par rapport à 2013 où j’étais parti trop vite. Par la suite, je serai informé de leur progression par mon équipe.

VT 100 - 2 7 seesToujours à mon rythme, les kilomètres et les ravitaillements passent. Un des postes de ravitaillement est géré par Gil’s Athletic Club (G.A.C.) des gens qui organisent la course Stone Cat. Je reconnais plusieurs visages. On jase un peu. On échange des sourires. Ça me redonne de l’énergie pour les autres sections dont la pente qui mène au ravito Seven Sees. Dès que j’aperçois la côte, je me donne alors le défi de la monter à la course sans arrêter. Je sais que mon équipe et une chaise m’attendent en haut. Au fil de la journée, ce que je remarque c’est que lorsque je m’assois pour manger et changer mes gourdes, cette courte pause assise est bénéfique quand je repars. Mais à Seven Sees, au kilomètre 95, j’ai pris 1-2 minutes de plus pour changer mes souliers. Je ressentais un début d’ampoule et je voulais prévenir les dégats.

« Il est 5 minutes devant toi… »

Sur la route vers le ravito Bill’s, mon équipe m’informe de l’avance qu’a le coureur qui me précède, Samuel. Il y a toujours un gap de 5 minutes entre lui et moi. Plus tard, je reconnais le véhicule de l’équipe de Samuel. Je suis persuadé que les membres de son équipe calculent la distance nous séparant. Je demeure tout de même prudent dans ma vitesse pour bien m’hydrater et éviter une perte de poids. Je ne veux pas me faire sortir de cette course sur la base de mon poids. N’ayant pas Samuel en vue et surtout avec tout ce que j’ai vécu jusqu’à maintenant, je n’ai pas l’esprit à courser. J’ai par contre l’impression qu’une bataille a lieu entre mon équipe et l’équipe de Samuel. Les paris sont ouverts. Lequel des poulains va terminer avant l’autre. Je veux cependant vivre ma course «confortable et conservateur» comme si mon corps et ma tête ne voulaient pas revivre les désagréments vécus en 2013. Une déchirure de l’intérieur. Difficile à décrire. L’impression d’exposer sa chair et son âme. Libre et enchaîné à la fois. Ne vivre que pour un objectif : avancer. Et ne plus avoir envie de courir.

10527968_10152213929311837_1570681982_nLa pesée. « Yesss!!! Mon poids est correct. » Je suis rapidement libéré d’un fardeau. « Là, je peux courir » sans penser à mon poids. J’hésite à prendre ma lampe frontale. Il est 18h40. Je décide d’attendre un autre 10 kilomètres avant de la prendre. C’est au ravito Polly’s que j’aurai accès une dernière fois à mon équipe. Il ne restera que 7 kilomètres ensuite pour atteindre la ligne d’arrivée.

C’est à environ un kilomètre avant ce ravito que je l’aperçois. J’ai ma cible en vue : Samuel. Je me sens étrangement bien. Notre écart rétrécit à vue d’œil. Arrivée au ravito, il n’arrête même pas. Ah! Ah! La proie est en fuite. Son pacer rempli sa gourde et prend quelques fruits puis accélère pour le rattraper. Moi, j’ai choisi de courir sans pacer. Donc pendant ce temps, je change ma gourde, bois, mange un peu et j’installe ma lampe frontale. Je reste debout cette fois. Un arrêt très court. Je ne veux pas perdre de vue ma cible. La poursuite est réellement engagée. A environ 3 kilomètres de la fin, on quitte le chemin de terre pour entrer dans la forêt. C’est le moment d’ouvrir la lampe frontale. Je dépasse deux coureurs du 100k dans une montée. Une bonne montée en sentiers. Samuel est maintenant tout près. Il marche. J’attaque à nouveau la montée et arrive à sa hauteur. Sans méchanceté, je lui dis : « You’ll finish this one ». Sa seule autres expérience sur 100 milles s’étant soldée par un DNF. Je ne cherchais pas à battre Samuel précisément mais j’aime utiliser les autres compétiteurs comme cible pour amener ma course à un autre niveau. J’ai continué à attaquer la montée. J’avais beaucoup d’énergie. Beaucoup trop à bien y penser. J’aurais aimé terminer ma course avec lui mais lorsqu’un bénévole m’informe qu’il reste encore 1.5 mille avant la fin, je continue à voler sur le parcours. Je traverse un champ. Je me retourne. Personne en vue. Je continue à survoler les sentiers. C’est maintenant la descente vers le finish. Mes pieds vont là où ils doivent aller. One mile to go. Mon jeu de pieds est parfait. Half-mile to go. Je danse dans le sentier. Je me sens léger. J’annonce mon numéro de dossard : 2-6-4. Enfin, j’aperçois le finish. Je passe sous l’arche et termine mon périple en 16h46, bon pour une 6e position. Une amélioration d’environ une heure sur mon temps de 2013. Mon équipe jubile. L’équipe de Samuel est un peu déçue. Samuel arrivera 10 minutes plus tard.

10544977_10152213898021837_1943810259_n2014-07-20 12.11.29

La course de 100 milles est tout un défi. Quand tout va bien, on se laisse transporter par le flot. Mais il y aura souvent des épreuves et des obstacles à surmonter. Cette course est avant tout un défi mental. Ces épreuves et ces obstacles, il faut bien les identifier. Éviter de les fuir, de s’apitoyer ou de les ignorer même. Il faut plutôt les analyser et s’ajuster. Choisir de ralentir pour éviter une perte de poids ou pour laisser le temps aux muscles de reprendre de la vigueur. Modifier ses objectifs. Oublier le temps et vivre le moment. Accumuler les petites victoires. Une montée. Une foulée légère. Les rencontres. Les sourires. Ressentir l’air frais. Dépasser un coureur. Mais surtout, terminer la course.

Cette course m’aura fait réaliser que je peux courir un 100 milles et me sentir relativement bien tout au long. Trop bien. La prochaine fois, je pourrai accélérer bien avant. Mais, ce que je retiens surtout, c’est que le pédalo est un sport très dangereux pour un coureur…

Sébastien (www.sebastienroulier.com)

Merci aux membres de mon équipe de soutien qui ont fait la course de ravito en ravito pour m’aider dans ce défi. Ils auront sillonné les routes du Vermont sur plus de 120 milles pour me voir quelques minutes à chacun des ravitos.

——————————-
Souliers : ASICS DS Trainer
Veste : UltrAspire Spry (sur les premiers 35 kilomètres)
Bouteilles : Amphipod Handheld bottle et Salomon Park Hydro Handset

Énergie durant la course :
• Boisson sportive Pro Circuit X1 + BCAA et boisson sportive offerte sur le parcours
• Gels X4 Carb et X4 vivifiant (caféine) de Pro Circuit
• Coke
• Patte d’ours
• Purée de pommes en sachet
• Chips
• Bananes et melon d’eau

Pour compenser les pertes d’électrolytes
• Capsules d’électrolytes
• Boisson X2 de Pro Circuit
• Eau de noix de coco

3 logos 2014

Ce contenu a été publié dans 100 miler, Course en sentiers, Trail, Ultra, avec comme mot(s)-clé(s) , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Vermont 100 : Un long jogging de 150 km et une accélération de 10 km

  1. Joan Roch dit :

    Superbe et extrêmement instructif! Merci pour ce texte. Et la prochaine fois, Brian Rusiecki n’a qu’à bien se tenir!

Laisser un commentaire