Le 23 juillet 2014, à l’émission de radio Médium Large de Radio-Canada
Isabelle Craig : « […] Quand on fait une grosse course comme celle que vous avez faite au Vermont, votre corps a besoin de repos? Vous n’allez pas faire la Pandora 24? Votre corps n’est pas prêt à repartir? »
Moi : « […] Je vais probablement recommencer à courir à la Pandora et je vais voir jusqu’où je peux aller. Mais je vais certainement faire quelques boucles de 10 kilomètres. »
I.C. : « Mais, il faut laisser son corps se reposer? »
Moi : « Oui, quand même… »
J’ai hésité. J’ai pesé mes mots. Je ne voulais pas faire peur à l’auditoire. J’aurais pu ajouter:
« Je ne peux pas me présenter à Prévost et ne pas aller explorer le Parc des Falaises. En fait, je prévois courir 18-20 heures et voir si je peux me rapprocher du 160 kilomètres à nouveau. »
« Il existe une règle qui suggère : un jour de repos par kilomètre ou mille parcouru. Donc 100-150 jours de repos… C’est beaucoup trop pour moi… 5-6 jours, ce sera suffisant… »
Mais attention. Moi, je peux me le permettre, vous, peut-être pas. Courrez prudemment.
15 ans de courses. 49 marathons. 15 ultramarathons. Sans compter toutes mes longues sorties de plus de 40-50 kilomètres et de plus de 4-5 heures. Plusieurs saisons de plus de 10 marathons ou ultramarathons. Côté récupération, mon corps et ma tête se sont adaptés. Je leurs ai offerts des opportunités pour progresser. Des stress qui permettent de repousser les limites pour la performance mais aussi pour la récupération.
Je me rappelle très bien qu’après mes premiers marathons, je devais faire une sieste avant le voyage de retour. Maintenant, je peux faire le voyage de retour immédiatement après un 100 kilomètres au New Jersey. Et c’est moi qui conduis. À mes débuts, ma démarche était plutôt raide les jours suivant un marathon. Descendre des escaliers, c’était un calvaire. Je prenais plusieurs jours de repos avant de recommencer tranquillement en prévision d’une autre course plusieurs mois après. Maintenant, je fais une sortie mollo ou du spinning le lendemain puis je recommence à courir le surlendemain mais j’évite la vitesse pour une semaine. Et des courses, je peux en faire aux 3-4 semaines.
Par contre, suite à ma course Vermont 100 en 2013, j’ai revécu ce que je vivais dans mes premiers marathons. Comme le Vermont 100 ferait partie de mon calendrier 2014, une semaine avant la Pandora 24 prévue le 26 juillet, je suis resté plutôt vague sur mes objectifs de la Pandora 24.
Bien avant la Pandora 24
Lorsque j’ai été approché par les organisateurs de la Pandora 24 pour être Président d’honneur, j’ai accepté sans hésitation. Une belle opportunité, comme je l’écrivais dans mon mot de bienvenue, pour « […] promouvoir une discipline qui m’a permis d’apprécier les sentiers, les montagnes, la nature, peu importe le moment de la journée, peu importe le temps de l’année. Promouvoir une discipline qui m’a permis de découvrir et de me découvrir. Découvrir ma persévérance, ma détermination, la joie et la liberté de courir, sentir et ressentir, être dans la nature, ÊTRE. » C’était en décembre 2013. Et si je n’avais pas été Président d’honneur… j’aurais probablement passé mon tour. J’aurais été sage et j’aurais récupéré de ma course de 160 kilomètres.
Mais, en prenant cet engagement, je devais être prudent. Ma tête peut me jouer des tours si elle connait la tâche à accomplir et surtout si elle connait les défis à venir. Ma tête va ménager mon corps pour avoir du succès aux deux épreuves. Pour ma course du Vermont 100, je considérais avoir un calendrier libre de course pour plusieurs semaines après. Plutôt rare dans mon cas. Et lorsqu’on me demandait si j’allais courir la Pandora 24, je disais : « Je vais probablement faire quelques boucles pour encourager les autres coureurs. Peut-être faire du bénévolat. Je verrai comment j’aurai récupéré de mon Vermont 100. » Aucun objectif de temps ou de distance. Je voulais que ma tête ne se concentre que sur le Vermont 100. Et après avoir terminé mon Vermont 100, j’ai pu me pencher sur la Pandora 24. J’avais quelques jours pour établir ma stratégie.
Un peu avant la Pandora 24
J’avais quelques jours pour préparer mon expérience Pandora.
Étant donné que j’aie eu l’impression de faire un long jogging au Vermont 100, plus la semaine avançait, plus j’avais la conviction que j’aurai suffisamment récupéré et que je pourrai courir la Pandora 24. Je n’ai pas couru beaucoup cette semaine-là. Mais la Pandora serait une occasion idéale pour tester mon corps sur un 2e ultramarathon lors de deux weekends consécutifs. Je pourrai voir les limites de mon corps. Parce que j’avais déjà établi que ma limite serait celle dictée par mon corps et non celle dictée par ma tête. Ma tête peut me mener très loin. Trop loin, avec un corps en reconstruction. Il me faudra plutôt être à l’écoute de mon corps et de ses différents signaux.
Le canevas de la course était très intéressant aussi. Courir le plus de boucles de 10 kilomètres pendant une période de 24 heures dans le Parc des Falaises de Prévost. Le tout débutera à 10h le samedi matin. Mon ravito principal sera près de la Zone Pandora, dans ma mini-fourgonnette stationnée tout près de là. J’aurai aussi la chance de courir à la noirceur dans des sentiers techniques. J’adore courir à la noirceur avec une lampe frontale. N’ayant pas eu l’occasion de le faire souvent depuis le printemps, c’était un aspect de la course que je ne voulais pas manquer. Mais, je ne prévoyais pas courir les 24 heures au complet. Je devrai être de retour à Sherbrooke en fin d’après-midi le dimanche. J’aurai besoin d’un peu de sommeil pour tenir la route.
Au-delà des détails techniques et de mes objectifs personnels, j’entrevoyais cette course comme étant intime et festive à la fois. Intime par son nombre de participants mais qui peut créer une ambiance tellement intense. Festive. Une belle fête de la course. Une belle fête pour s’amuser dans les sentiers. Une belle fête pour voir des gens se dépasser, pour rencontrer des passionnés.
Pandora 24, c’est aussi des rencontres
J’ai pu m’immerger dans l’aventure Pandora trois jours avant le départ. J’ai eu le privilège de participer à l’émission Médium Large à la radio de Radio-Canada. Une entrevue sur l’univers des ultramarathoniens et un bref aperçu de la Pandora 24. Voici le lien vers l’entrevue. J’y étais avec deux passionnés de la course, Martin Coulombe, l’un des organisateurs de la course, et Jeff Gosselin, un athlète très inspirant. Des chemins différents pour y arriver… mais une vision assez semblable de tout ce que rapporte la course en sentiers et l’ultra. Un menuisier, un enseignant et un médecin qui partagent la même passion. On pourrait même ajouter un auteur-compositeur-interprète à notre trio. Une rencontre inattendue. Un peu avant l’entrevue, Vincent Vallières, qui allait entrer en ondes sous peu pour son émission, s’installe dans le petit salon où nous attendions. Bien sûr, on jasait de course. Lui-même coureur, il reconnait Jeff qui avait dirigé un entraînement à Orford quelques semaines auparavant. Et puis, il réalise qui je suis. De savoir que Vincent Vallières discute de mes statistiques de courses avec sa conjointe dans la chambre à coucher… euh!!! dans la salle à manger, c’est tout simplement drôle. À quand ma chanson?… !!!
On va courir encore, au travers des routes, des sentiers tout au boutte et de plus en plus loin
On va courir encore, à travers la pluie, et même à l’agonie et de plus en plus haut
On va courir encore, au travers des journées, au travers des nuits noirs, un p’tit pipi su’l’bord on va courir encore
Et puis, la veille de la course, j’ai eu l’honneur de célébrer la messe pour les coureurs… J’ai présenté ma conférence sur mon parcours de coureur… dans une église de la région. Un très bel auditoire à écouter la bonne nouvelle… Mais c’est la deuxième présentation qui a retenu mon attention. J’ai été propulsé dans l’univers de Caballo Blanco et des Raramuri ou Tarahumaras et de leur principe du partage (korima). Ceux-là même qui ont donné l’idée à Christopher McDougall d’écrire le livre Born to Run. Maria Walton, celle qui partageait sa vie avec Micah True avant son décès, y était. Les Mas Locos du Québec aussi. Une présentation rafraichissante, émouvante et surtout inspirante. De bons ingrédients pour entamer la course le matin suivant.
(Lien vers le site internet du film Run Free)
Pandora 24 à la course
Gare de Prévost. Samedi. 10h. Le départ est donné. Je décide de découvrir et vivre cette première boucle à un bon rythme. Je suis accompagné d’un coureur, Étienne, qui fait la course en équipe. La boucle est intéressante. Un beau parcours avec de bonnes montées dans les roches lors des trois premiers kilomètres pour atteindre le sommet des falaises. Des single track intéressants au sommet des falaises et une descente d’abord abrupte puis en faux plat. La forêt nous enveloppe jusqu’au Lac du Castor. C’est là que des bénévoles nous attendent, vers le 6e kilomètre. Un magnifique endroit pour se ravitailler. Puis, on retourne vers la Gare par d’autres beaux sentiers. Les deux derniers kilomètres correspondent aux deux premiers mais en sens inverse. Vraiment intéressant pour croiser et encourager les autres coureurs.
La chaleur s’installe rapidement. On est bien sous le couvert des arbres. Je décide quand même de courir léger c’est-à-dire torse nu afin de montrer mon bronzage de coureur qui a porté une camisole tout l’été… Je prends une gourde et je repars. La foulée est bonne. Les jambes vont bien. J’imagine les jeunes Raramuris jouant au Rarajipari. Je me sens soudainement plus léger. La journée est magnifique. Il n’y a que des sourires sur le parcours.
Les sourires des coureurs. Les sourires des bénévoles au ravitaillement principal de la Gare et au ravitaillement du Lac du Castor. Les sourires des spectateurs. Les sourires de coureurs qui ne courent pas aujourd’hui. Ils sont là pour encourager et agrémenter la fête. Je reconnais plusieurs visages. Joan avec ses enfants. Pierre, toujours aussi généreux, à un ravitaillement. Louis-Philippe qui fera une chasse aux grenouilles plus tard en soirée. Vincent qui va pacer le héros du weekend, Martin, qui va compléter 16 boucles en 28 heures.
Moi aussi j’ai eu mes pacers. C’était à mon 5e tour. Ghislain, que je ne connaissais pas du tout, me demande s’il peut courir avec moi. Je l’invite à me suivre. Sébastien, une connaissance, arrive au même instant. Tous les trois, on s’élance sur le parcours. Ayant peu l’habitude de suivre les talons d’autres coureurs, je préfère être en avant. Mais le son et le rythme des pas qui me suivent me donnent une bonne dose d’énergie. Une belle boucle complétée en bonne compagnie.
Malgré une fatigue et un peu de douleur dans les jambes, je maintiens un bon rythme par la suite jusqu’au 8e tour. Après avoir gravi les falaises, une pensée me traverse l’esprit. Mes muscles n’ont certainement pas récupéré totalement du Vermont 100. Quelles peuvent être les conséquences de soumettre mes muscles à un autre stress aussi intense? Et mon cœur, lui? C’est aussi un muscle. Il ne faudrait pas qu’il me fasse des folies au sommet des falaises. Pourquoi y penser à ce moment? Un fragment de pensée qui a pris plus d’importance que d’autres. Un signe pour ralentir, peut-être. Je savais alors que ma course était terminée. J’ai décidé de trottiner par la suite. Juste avant le ravito du Castor, j’ai croisé Dominic, un des organisateurs de la course, avec Jeff. En les dépassant, ce dernier me dit: « Qu’est-ce qui se passe avec ta jambe droite? » Mon patron de course avait changé. Les petites douleurs que je refoulais lors des autres tours prenaient de l’ampleur. Et c’est ma foulée qui en écopait. Je termine donc mon 80 kilomètres après 10h40 de course. Mais, je n’ai pas encore profité de la noirceur. Je décide alors de poursuivre à la marche.
Pandora 24 à la marche
Je prends mes bâtons et ma lampe frontale. Il est 20h40. Avant de quitter, je vois Benoit et Sandrine qui se préparent à partir. Je leur demande si je peux les accompagner. Finalement, je décide d’y aller seul. Non pas que je ne voulais pas de leur compagnie. J’ai réalisé que je voulais plutôt vivre la noirceur seul. Seul avec mes pensées. Seul avec mon faisceau de lumière. Seul avec les sons de la forêt. Seul à ressentir le sol. Je vais compléter deux boucles supplémentaires pour un grand total de 100 kilomètres en 15h04.
Pandora 24 à l’arrêt
Je décide alors d’arrêter mon parcours. Il est 1h du matin. Je m’assois avec d’autres coureurs qui sont en pause ou qui ont interrompu leur course. Je me mets un sac de glace sur les jambes et je me repose. J’ai en tête de me coucher et de peut-être faire un tour au matin vers 6-7h. Je reste dans la zone Pandora à encourager d’autres coureurs. Je mange aussi. Puis la pluie se met à tomber. Le fond de l’air est bon mais il pleut beaucoup. Avant de me coucher, je vais me laver. Puis, au matin, lorsque ma montre sonne, j’entends encore la pluie qui tombe. Mes jambes sont raides. Je décide avoir donné suffisamment avec mes 2 défis en 2 weekend et regarde plutôt les autres terminer leur défi de 24 heures. Tous terminent avec le sourire.
Toujours regarder vers l’avant
La course, pour moi, ça se vit au présent. Le temps d’un blogue, je retourne brièvement en arrière. Des réflexions que je partage. Succès ou difficultés, analyser chacune de mes courses me permet de clore un chapitre. Mon livre s’écrit au fil des courses. Mais, je ne suis pas qu’un homme de mots. Je suis surtout un homme d’action qui aime bien courir et qui n’hésite pas à relever des défis. Cette course, et tout ce que j’y ai vécu, est un élément de plus dans mon baluchon, une pierre de plus à ma fondation.
Dans mon mot de bienvenue de Président d’honneur j’écrivais: « Venez découvrir ce qui se cache dans Pandora 24… Mais surtout, ayez du plaisir. » La Pandora 24 a été une belle occasion de rencontrer d’autres coureurs, de partager les sentiers avec d’autres passionnés, de voir la satisfaction de la réalisation dans le regard et le sourire des coureurs. Tous en sont sortis gagnants. J’en suis sorti gagnant. Tous ont eu du plaisir. J’ai eu du plaisir. J’ai maintenant d’autres défis. Je regarde vers l’avant et je transporte ce que j’ai acquis à la Pandora 24 avec moi pour ces prochains défis.
Merci à Dominic, Martin et Jean-François d’avoir organisé cette belle fête. Merci de m’y avoir invité. Merci à tous les bénévoles pour votre générosité. C’est de loin ma course coup de cœur de la dernière année.
Et la fête se poursuivra bientôt avec le 80km de la Chute du Diable à St-Mathieu-du-Parc le 30 août prochain.
Sébastien (www.sebastienroulier.com)
Photos courtoisie: Josianne Hémond