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Le plaisir de manger des cornichons à l’aneth
« Be grateful to something when the night will come »
Voilà les mots d’une athlète qui m’encourage lors de ma course de 24h au New Jersey. Ça doit faire 6 heures que la course est commencée. Un soleil de plomb me chauffe sur un parcours de 1 mille (1.6 km) sans point d’ombre. Je dois répéter ce parcours le plus de fois en 24 heures. Déjà après le premier marathon, soit 26 tours, en 3h35, je me demande comment je vais réussir à maintenir la cadence pour le reste de la course. La chaleur m’écrase. Elle me commande de ralentir. J’alterne la course et la marche.
J’ajoute quelques tours.
Au départ de la course, j’avais des tensions dans les muscles adducteurs au niveau de mon aine droite. Un point faible depuis quelques années. Auto-massage, massage avec une balle ou un bâton. Tout y passe la veille de ma course. Comme un diesel, je vais partir ça lentement pour laisser le temps à mes muscles de se réchauffer. Mais là, je surchauffe. Mon cerveau est en mode protection pour m’éviter un coup de chaleur. Et je l’écoute.
J’ajoute quand même quelques tours.
Parmi les 80 coureurs qui débutent la course, je reconnais les bons coureurs. Ils ont plusieurs tours d’avance sur moi. Mais avec ce soleil et l’incapacité de maintenir un rythme rapide, certains abandonnent.
Pendant ce temps, j’ajoute encore des tours.
J’ai beaucoup misé sur le Marathon de Boston en duo cet hiver. Pour éviter la fatigue des ultra-longues sorties, j’ai restreint mes plus longues sorties à 50 km. Je voulais tout de même améliorer ma meilleure distance sur 24 heures lors de cette course. Je visais plus de 220 km. Mais ce ne sera pas aujourd’hui. Par contre, je suis là pour vivre une course de 24 heures. Apprendre. Vivre les sensations au fil des heures qui défilent. Cette fatigue qui s’installe graduellement. Et voir comment je vais réagir, m’adapter.
Et, j’ajoute encore des tours.
La nuit tombe.
La fraîcheur s’installe.
Mon corps apprécie.
Le rythme est meilleur.
Et une succession de petits plaisirs me permettent d’ajouter encore plus de tours :
Des cornichons à l’aneth. Quel délice salé. Oh!!! Et cette soupe au poulet et nouilles : un régal. Des patates pilées. J’adore. Des jujubes aux multiples couleurs. Autant de saveurs qui stimulent mes papilles gustatives. L’éveil d’un sens endormi par les gels et boissons sportives.
Un peu de musique cette fois. J’éveille un autre sens. Une première chanson qui me permet d’être aussi rapide qu’au début de ma course. « Beau malheur » d’Emmanuel Moire. Tellement à propos. Ce paradoxe des épreuves et des doutes qui nous procurent un certain bénéfice. Ma cadence suit le rythme imposé par la mélodie. Le train est lancé.
Un coureur arrive à ma hauteur. Il a 8-10 tours d’avance. Il a besoin de compagnie pour compléter son 100 milles. Il prévoit arrêter ensuite. Cette jasette au milieu de la nuit me permet d’oublier mes douleurs. Car des douleurs, j’en ai bien sûr. Mais ma course sera plus facile durant cette partie de la nuit. Après environ 17 heures de course, il arrête. Mon 100 milles, surviendra 1h30 plus tard.
Et c’est là que j’ai pris les commandes de la course.
Quelques calculs me font réaliser que, si j’atteins 131 tours, je complèterai alors 5 marathons. Il y a une mince possibilité que je puisse y arriver. Ne brusquons pas trop les choses. Allons-y un tour à la fois.
Les hauts et les bas se succèdent sur ce terrain plat.
Fatigue, douleur, épuisement, nausées, manque d’énergie.
Je marche, je cours, j’avance.
Le chant d’un coq au loin. Le bruit des oiseaux. Le jour se lève tranquillement. Je suis toujours debout. J’accumule les tours. À ce rythme, ce sera peut-être 128 ou 129 tours. J’ai eu peu de repos. Le seul moment où je me suis assis, c’est pour changer mes souliers…5 minutes.
Je partage la route maintenant avec mon plus proche rival. Il accuse 2 tours de retard. Nous courons ensemble quelques tours lorsqu’il doit s’arrêter pour une pause-toilette. Je gagne un tour de plus sur lui. Il doit bien rester 3 heures de course. Rien n’est gagné mais après autant d’heures à courir, je ne pense qu’à accumuler les derniers tours tranquillement, sans pression.
J’alterne la course et la marche. Je marche surtout.
Et voilà, mon poursuivant me passe en coup de vent. Il a retrouvé son énergie perdue. Il m’invite à le suivre mais déjà il est plusieurs dizaines de mètres plus loin.
Je le sais. Si je lui laisse cette chance de me rattraper à nouveau, il gagnera en confiance et poursuivra à cette cadence pour plusieurs autres tours. Rien n’est vraiment gagné. J’accélère. J’essaie de le garder dans ma mire. Il gagne environ une centaine de mètres seulement par tour. Un tour. Deux tours. Trois tours. Quatre tours.
J’accélère encore. Je gagne en vitesse. Chaque tour en près de 8,5 minutes.
Mes tours s’accumulent encore et il ne me rattrape pas. Le temps s’épuise. La course tire à sa fin. Et là, je le vois. Il marche. J’ai réussi à casser son regain d’énergie. Et moi, je suis bon pour courir encore.
130e tour.
On m’annonce qu’il ne reste que 12 minutes à la course.
« Plenty of time » que je crie en accélérant de plus belle. Mon dernier tour de piste. Le tour de la victoire. Je me sens léger. Libre.
Un dernier tour en 8 minutes.
131 tours en 24 heures.
131 milles.
211 km.
Exactement 5 marathons.
Aucune ampoule. Aucune crampe. Aucune irritation.
La perception de l’effort, la perception de la douleur dépendent de plusieurs facteurs. Tous ces messages pour m’inciter à arrêter. Mais il ne suffit que de trouver cette petite étincelle, ces petits plaisirs pour réaliser qu’il me reste de l’énergie, une force pour poursuivre le défi et dépasser ce que je croyais être ma limite.
À tous ceux qui abandonnent parce qu’ils n’ont plus de plaisir, accrochez-vous encore.
L’ultramarathon m’amène à rechercher ces petites étincelles, ces petits plaisirs, ces petits détails parfois insignifiants. Des détails qui passent inaperçus si on n’y porte pas attention.
Et c’est en vivant les moments difficiles que j’apprécie encore plus tous ces plaisirs.
L’ultramarathon, avec ses hauts et ses bas, est réellement une de mes sources de bonheur.
Sébastien Roulier (www.sebastienroulier.com)
Ultramarathonien, blogueur, conférencier, pédiatre, professeur, médecin gestionnaire et père de 3 enfants.
Publié dans 24h race, Course sur route, Défi, Ultra
Un commentaire
Marathon of Kindness
Prologue
Lors du weekend menant au 3e lundi du mois d’avril, des milliers de gens convergent vers Boston pour participer au mythique Marathon de Boston. La ville vibre par la présence des coureurs, de leurs accompagnateurs et de tous les spectateurs. Parmi les protagonistes, nous retrouvons un duo : un coureur de Sherbrooke, Sébastien et une coureuse de Chicoutimi, Marie-Michelle. Ils sont accompagnés des parents de celle-ci, Nicole et Luc, et de l’équipe Kartus, les concepteurs d’une chaise qui permettra au duo de compléter la distance de ce marathon.
Lorsque Sébastien et Marie-Michelle sont réunis au Copley Square de Boston deux jours avant la course, une anecdote touchante, racontée par Marie-Michelle, conduira au titre de cette pièce :
Dans un kiosque extérieur, Marie-Michelle porte son regard sur les manteaux aux couleurs du Marathon de Boston. Elle est intéressée par ce dernier. Elle doit cependant essayer différentes grandeurs pour faire le bon choix. Durant cette période d’essayage, une personne assurant la sécurité s’approche. Il demande à Marie-Michelle si elle a fait son choix.
« The 2019 Boston Marathon is the Marathon of Kindness », dira-t-il en payant le manteau au coût de 110$. Un geste généreux de la part de cet inconnu.
Acte 1 : La veille à Hopkinton
Le village d’Hopkinton, à près de 40 km à l’ouest de Boston, sera le théâtre du départ de la course. Pour l’instant, tout est calme. Rien ne laisse présager que plus de 25 000 coureurs envahiront cette petite municipalité le lendemain matin.
En marchant dans les rues, le duo et leurs accompagnateurs découvrent la statue de Dick et Rick Hoyt mieux connus sous le nom de Team Hoyt. Un père dévoué qui a permis à son fils handicapé de participer à de nombreuses courses dont plus de 30 marathons de Boston. Demain, Marie-Michelle vivra la fébrilité de son premier marathon de Boston quant à Sébastien, ce sera son treizième.
Acte 2 : Le matin de la course
Le rideau se lève sur un ciel déchiré par les éclairs. Des orages sévissent. Des conditions qui ressemblent à ce que les coureurs ont vécu l’année précédente.
La dizaine de duos et ceux en handicycles sont tous réunis sous un grand chapiteau tout près de la ligne de départ. Il y a beaucoup plus d’espace que dans les tentes, sur un terrain de football à proximité, pour les milliers de coureurs qui y seront entassés. Ici, il y a des chaises pour s’asseoir et de la nourriture pour emmagasiner toute l’énergie nécessaire. Malgré la pluie, le duo est d’attaque pour relever le défi à venir. Les parents de Marie-Michelle ont même la chance de vivre cette attente avec les coureurs.
Mais, pour que le scénario soit parfait, il faudrait bien que les averses cessent avant le départ.
Acte 3 : Départ de la course
Tout juste avant de quitter la tente pour se diriger vers la ligne de départ, la pluie cesse. Il est 9h environ. Le départ est à 9h25. Pour que les chaises ne nuisent pas aux milliers de coureurs, les organisateurs ont prévu un départ 35 minutes avant le départ de masse et 7 minutes avant celui des femmes élites.
Les handicycles et les duos s’approprient la scène. Ils sont maintenant sur la ligne de départ.
Aucune répétition pour cette course. Sébastien et Marie-Michelle n’ont pas eu la chance de courir ensemble depuis leur marathon à Montréal qui leur a permis de décrocher un Record Guinness. Mais, la mise en scène est connue pour Sébastien. Avec cette 13e participation, il connaît les obstacles que peut présenter ce marathon. Le duo est prêt pour cette grande première.
Le départ est donné.
Ensemble vers l’avant, vers Boston, le duo s’élance.
Acte 4 : En route vers Boston
En cette journée du Marathon Monday, c’est congé du Patriots’ Day au Massachusetts. Pour plusieurs, le Marathon de Boston, c’est leur Super Bowl. Ils sont plus de 500 000 spectateurs le long du parcours et du haut des balcons. Une foule venue encourager leurs proches, aux premières loges pour voir passer les coureurs élites mais au final, une foule bruyante pour applaudir tous les coureurs.
Le marathon peut être vécu dans sa bulle mais, il y a un danger d’accorder trop d’importance aux messages négatifs envoyés par le corps. Au Marathon de Boston, il faut livrer sa performance en interagissant avec la foule. Le pouvoir des spectateurs ne peut être sous-estimé. Ils transportent les coureurs. Sébastien le sait. Ils sont tous là pour eux.
Avec leur départ avant la masse de coureurs, la route appartient aux duos. Tous les projecteurs sont tournés vers eux. Ils endossent leurs rôles à merveille : présenter un visage différent de la course à pied, partager le bonheur de courir sur ce parcours tant convoité. Et tout ça, en échangeant des sourires avec toutes ces personnes.
Sébastien n’hésite pas à demander aux spectateurs de faire plus de bruit, de crier plus fort. Quel vacarme dans tous les villages traversés par le duo!!! Et malgré les crampes qui commencent à sévir au 25e km, Sébastien poursuit son dialogue avec tous ces gens. The show must go on. Toute cette énergie lui fait oublier ses douleurs.
Acte 5 : Au fil d’arrivée
L’apogée est atteint dans ce dernier virage qui amène le duo sur Boylston Street au centre-ville de Boston. Au loin, on aperçoit les estrades et l’arche qui annonce la fin du marathon. La foule est en liesse. Une vague de décibels qui amène une dernière accélération du duo.
C’est l’exultation, une explosion de joie. La ligne d’arrivée est franchie. Sébastien et Marie-Michelle, finishers du Marathon of Kindness.
Le temps final: 3h17. Toute une prestation par le duo.
Quelle fierté pour les deux coureurs qui retrouvent leurs accompagnateurs et célèbrent cet accomplissement.
Et, le rideau tombe sur Boston et son marathon.
Épilogue
Autant de chemins qui ont permis la réunion de tous, voilà qu’après un bon repas partagé en groupe chacun retourne sur leur propre chemin. Marie-Michelle et sa famille feront un détour par la côte Est de la Nouvelle–Angleterre et l’équipe Kartus profitera encore un peu de la région de Boston. Fidèle à ses habitudes, sur le retour vers Sherbrooke, Sébastien fera une escale dans les Montagnes Blanches. Une escapade au Mont Lafayette pour prendre un cliché au sommet de la montagne d’une altitude de 5250 pieds avec le gilet et la médaille de l’édition 2019 du marathon.
Tous ces moments vécus au marathon de Boston 2019 seront cristallisés sur pellicule grâce au travail apprécié de l’équipe PODIUM – Radio-Canada Sports avec le journaliste Jean-François Poirier, le réalisateur Sylvain Caron et les caméramans. Cette équipe a suivi le duo, les parents de Marie-Michelle et l’équipe Kartus pour produire le documentaire Toujours devant que vous pourrez visionner ici.
Sébastien Roulier (www.sebastienroulier.com)
Ultramarathonien, blogueur, conférencier, pédiatre, professeur, médecin gestionnaire et père de 3 enfants.
Unlock 2019 : Combinaison gagnante pour le Marathon de Boston en duo
Il y a deux ans, j’écrivais ceci :
Mon projet fou est d’amener un passager au Marathon de Boston 2018. Pour y parvenir, je dois me qualifier lors d’un autre marathon. […] J’aimerais bien que le Kartus trouve sa place au départ de ce marathon…
Je m’étais un peu emballé dans ce projet. 2018 n’était pas la bonne année pour le réaliser. 2019, par contre l’est. Le marathon de Boston en duo, le 15 avril dernier, est déjà du passé.
Mais, c’est en portant un regard sur les événements du passé que je réalise qu’ils déterminent ceux à venir. Comme une réaction en chaîne. Une chaîne d’événements. Comme si au bout du chemin, un autre apparaissait pour m’amener irrémédiablement au départ de ce mythique marathon. C’est à la recherche de ces coïncidences que je peux retracer la voie et découvrir l’origine de cette mission.
En duo avec Marie-Michelle
L’année 2018 aura été mon tremplin pour les courses en duo. Rien n’était planifié au début de l’année mais j’ai ajouté ces aventures malgré un calendrier déjà chargé. Je ne voulais pas rater ces opportunités. C’est au mois de mai que j’ai rencontré Marie-Michelle grâce à l’équipe Kartus. Quelques semaines auparavant, l’équipe Kartus m’a informé qu’une co-coureuse était prête à embarquer dans la chaise pour une course. On m’offrait la chance d’être le coureur. Nous avons fait le demi-marathon de Lévis en un temps de 1h30, un Record Guinness récemment homologué. Cette course m’a surtout fait réaliser que les sensations ressenties lors d’une course peuvent être vécues par tout le monde, que la passion de la course atteint même ceux qui ne peuvent utiliser leurs jambes pour courir. Et comme coureur, j’en ai retiré que du positif malgré une course de 80 km complétée la veille. La course, ça se joue dans la tête. La douleur, c’est dans la tête aussi. Il suffit de la remplacer par des émotions positives. Un geste si simple de pousser une personne qui procure un dépassement de soi et qui permet de partager le bonheur. Et que dire de la reconnaissance exprimée par l’entourage de Marie-Michelle? Ça donne des frissons.
C’est avec enthousiasme que j’ai appris, durant l’été, que Marie-Michelle voulait se lancer dans l’aventure du marathon, celui de Montréal. Malgré ma principale course de la saison, le Spartathlon, soit une course de 250km en Grèce, prévue 5-6 jours après le marathon, j’ai décidé de me lancer dans ce défi de « marathon en duo ». Le reportage de Jean-François Poirier de Radio-Canada résume bien la course à Montréal. L’équipe Kartus avait bien planifié cette rencontre avec l’équipe du journaliste. Et la course a été formidable. Quelle énergie!!! Le plus facile de tous mes marathons. Dans les temps visés en plus : 3h01, bon pour un autre Record Guinness. Un premier marathon pour Marie-Michelle. Ce marathon en duo était la clé nécessaire pour entrer sur le parcours du Marathon de Boston. Mais, à quoi peut bien ressembler le chemin qui m’a mené à rencontrer l’équipe Kartus?
Les Courses partagées de Sherbrooke
Les organisateurs du Défi Félix Deslauriers-Hallée, un événement bénéfice qui permet d’amasser des fonds pour le Programme à Félix de la Fondation québécoise du cancer, m’ont approché pour la présidence d’honneur de l’événement en 2015 et 2016. Pour l’édition de 2016, j’ai eu l’idée de participer à la course de 10km en poussant quelqu’un qui avait bénéficié des services du programme. C’est à ce moment qu’un des membres du Comité Organisateur m’a parlé d’un produit, une chaise créée par des étudiants de la faculté de génie de l’Université de Sherbrooke. Mes recherches, tant d’un passager que du propriétaire de la chaise, ont été vaines.
Un an plus tard, mon collègue de travail me fait suivre un courriel d’un ancien collègue de sa promotion. La personne cherchait des coureurs pour pousser des co-coureurs dans une course de 5km à Sherbrooke. C’était mon premier contact avec Marc Therrien, l’homme derrière les Courses partagées de Sherbrooke. C’est également à ce moment que j’ai rencontré l’équipe du Kartus, cette fameuse chaise spécialisée pour les personnes à mobilité réduite.
Mon ambition n’était pas de limiter mon partage que pour les Courses partagées. Je voulais amener la mission du Kartus et des Courses partagées dans les courses officielles.
Voilà, les pièces du casse-tête s’emboitent mieux pour dresser un tableau plus clair du chemin parcouru pour réaliser mes courses en duo avec Marie-Michelle. Mais, ma rencontre avec les organisateurs du Défi Félix Deslauriers-Hallée voit aussi un chemin y conduire.
Engagements et partage
Mon parcours de coureurs a bifurqué à un certain moment vers les ultramarathons et les sentiers. Pour que la fin de mes marathons soit plus facile, j’ai augmenté la distance de mes longues sorties. Tant qu’à courir longtemps en solitaire, pourquoi ne pas le faire dans une course organisée? C’était un ultramarathon de 80km en sentiers en 2011. J’ai adoré l’expérience et les sensations. Et mes résultats m’ont propulsé vers les Championnats Mondiaux de trail, mes Olympiques. À partir de ce moment, j’ai eu une révélation : la course serait mon projet de développement personnel et de partage. Je devais développer mon projet «En mouvement pour la santé». Site web, blogue, conférences. Promouvoir les saines habitudes à travers ma passion de la course. J’ai ouvert mes horizons pour ne pas hésiter à m’engager auprès de différentes causes. Mes exploits en ultramarathons ont aussi été un phare et ont amené une certaine visibilité dans ma région. Cette ouverture m’a permis de rencontrer tous les organismes déjà nommés dans cet article. Autant de points me dirigeant tranquillement vers ma rencontre avec les Courses partagées de Sherbrooke.
Team Roulier
Je ne peux passer sous silence une autre période où je poussais mes enfants dans un Chariot. Leur partager ma passion en les invitant sur mon terrain de jeu, bien installés, aux premières loges. Des podiums, ils en ont vécu plusieurs. Cette énergie que procurent ces réalisations en duo amène un désir de répéter tout ceci. Mais, les enfants ont grandi et la poussette a été rangée. Mais ces expériences en duo avec mes enfants se sont imprégnées en moi. En fait, toutes mes expériences de courses depuis l’an 2000 m’ont graduellement amené vers le point où je me trouve actuellement.
Le premier pas
Chacune de mes destinations pour 2019 commence par ce moment où j’ai décidé de faire mon premier pas de course et par lequel ma passion a grandi. C’était en 2000, l’année où je m’entraînais pour mon premier marathon, celui de Québec.
Mais, était-ce vraiment mon premier pas?
J’ai bien eu une période plus calme à la course lorsque j’ai entrepris mes études collégiales et universitaires. Mais l’activité physique a toujours eu une place importante dans mon horaire. Randonnées pédestres, longues randonnées à vélo. Le goût de bouger a toujours été présent.
Durant toutes mes années au primaire et au secondaire, je survolais les distances lors des Olympiades scolaires. J’aimais courir et surtout bouger. Je me rappelle certaines soirées à jouer à la cachette avec tous les amis du quartier. Ou encore la fois où je m’entraînais pour le 5km du Rallye Minta à St-Bruno…dans mon sous-sol à courir autour de la table de billard. Ma mère a eu pitié de moi et a demandé à mon frère de m’accompagner à l’extérieur. Et que dire de toutes ces sorties plein-air avec mon grand-père. Sa valise d’auto était un entrepôt d’équipements sportifs de tout genre.
Et je pourrais remonter ainsi jusqu’à ma naissance pour réaliser l’apport de chacun de mes parents dans la personne que je suis maintenant.
Chaque moment se construit sur le précédent
Our lives and our choices, each encounter, suggest a new potential direction.
(Traduction: Chaque point de jonction, chaque rencontre est une fenêtre ouverte sur d’autres horizons.)
– Tom Hanks alias Isaac Sachs in Cloud Atlas
Comme une suite de points qu’il faut relier sans trajectoire définie. Obtenir les bons codes pour découvrir toutes les possibilités qui s’offrent à nous et percer les secrets que nous réservent l’avenir.
J’ai déterminé mon chemin et j’en ai suivi un autre et un autre. Face aux opportunités ou aux épreuves qui se présentaient, je suis resté ouvert aux expériences. Et vingt ans plus tard, j’ai toujours ce goût de courir.
Chaque défi est le passage vers un autre défi. Rien n’est figé. Une quête sans fin. Relier les points qui m’amènent toujours vers un nouvel horizon. Tout est dynamique, jamais immobile. Comme la vie. La course est une métaphore de la vie. Aller de l’avant. Je dois avoir des projets et explorer. Être dans le mouvement présent pour vivre le moment présent. Et tous ces détours empruntés ont forgé ma personnalité et raffinés mes valeurs. Une blessure qui m’a permis de changer ma perception des entraînements. L’erreur de vouloir revenir sur le même chemin après une blessure, je ne l’ai pas faite. J’ai poursuivi mon chemin en acceptant d’être blessé. C’était mon nouveau chemin. C’était au début 2015. Les années qui ont suivi ont été exceptionnelles.
Réflexion sur nos valeurs, notre vision, notre mission
Il est important d’avoir une vision, des rêves. Les nommer, les crier, les vivre. Ils guident nos actions. Ils nous permettent de choisir le bon chemin. Ou ce qu’on croit être le bon chemin. Il est important de porter une attention à ce qu’on y vit comme le propose James Redfield dans La Prophétie des Andes. On y fera des rencontres, on y vivra des épreuves, on se questionnera. Nous devons garder en tête ce qui est important pour nous, établir nos priorités. Sur le chemin, il y aura des obstacles, des moments plus difficiles mais l’important est de voir l’horizon au loin et de réaliser que ce que l’on vit ça rejoint nos valeurs, notre vision et notre mission.
Il ne faut pas craindre les détours. La ligne droite ne fait que nous amener plus rapidement vers notre finalité. Bien sûr, en empruntant un chemin, on en évite plusieurs autres, et donc on manque certaines opportunités. Mais l’important est que sur ce chemin, on y trouve le bonheur. On aura alors l’impression d’être au bon endroit au bon moment et d’avoir trouvé la bonne voie pour soi. Et le chemin qui m’a mené au Marathon de Boston en duo est pour moi le bon chemin. Un chemin qui rejoint le médecin qui veut promouvoir l’activité physique mais aussi qui brise certaines barrières avec les gens à mobilité réduite. C’est une ouverture aux autres, une action d’engagement social. On pourrait y voir une bonne action altruiste, de l’abnégation. Mais, le don de soi est plutôt rare. On y fait toujours quelques gains. Dans mon cas, ces courses en duo renouvellent ma motivation à courir. J’y gagne une énergie que je ne peux avoir en courant seul.
La chanson de Pink Floyd, On the Turning Away, est très à propos. Elle évoque les souffrances subies par certaines personnes et présente surtout l’indifférence des gens. Les paroles finissent sur une touche d’espoir: il faut agir et vivre en s’aidant mutuellement. Les courses en duo permettent à chacun, coureurs et co-coureurs, de s’épanouir.
No more turning away
From the weak and the weary
No more turning away
From the coldness insideJust a world that we all must share
– Pink Floyd (On the Turning Away – A Momentary Lapse of Reason – 1987)
It’s not enough just to stand and stare
Is it only a dream that there’ll be
No more turning away?
Sébastien Roulier (www.sebastienroulier.com)
Ultramarathonien, blogueur, conférencier, pédiatre, professeur, médecin gestionnaire et père de 3 enfants
Unlock 2019: Le premier pas
Alors que la Nature est en transition vers un printemps qui se réveille trop souvent tardivement, une aventure épique dans les Montagnes Blanches (New Hampshire, É-U) en mars, c’est tout ce dont j’ai besoin pour éveiller le guerrier en moi. C’est mon évènement charnière et déterminant pour bien entamer ma saison de courses. Ce rendez-vous annuel dans un monde pouvant être hostile par moment avec des froids glaciaux et des vents démesurés commande le respect.
Pourquoi ce pèlerinage dans les hautes montagnes alors?
Je n’ai pas de réponse claire.
C’est un appel qui va bien au-delà de l’entraînement.
Repousser la routine. S’évader. S’autoriser des moments avec soi-même, des moments de réflexion. Se retrouver dans une situation de vulnérabilité face à ces géants que sont les sommets des Montagnes Blanches et trouver la force de les vaincre. Relever des défis loin du confort.
Je dois entretenir ma flamme de l’aventure, explorer, avancer. Par ces défis j’exprime le guerrier en moi et forge ma personnalité.
Le trajet sera long, les conditions météorologiques seront imprévisibles, les ascensions seront difficiles, le sol sera glacé. Il y a bien des obstacles à surmonter sur le chemin. Autant de situations qui créeront de nombreux souvenirs. Autant d’opportunités à trouver des solutions et à apprendre. Je devrai être vigilant et utiliser chacun de mes sens pour progresser.
Vivre le moment présent, c’est surtout de cela qu’il est question.
Retour sur la Chaîne Présidentielle
Les trois dernières années, ma destination était le Mt Lafayette où je montais et descendais la montagne à plusieurs reprises pendant 9-10 heures. Mais cette fois, je veux renouer avec la Chaîne Présidentielle des Montagnes Blanches pour y faire une double traversée, du Mt Pierce au Sud jusqu’au Mt Madison au Nord, en passant par le sommet du Mt Washington qui culmine à 1917 mètres ou 6288 pieds, et revenir sur mes pas.
Depuis trois semaines, mon sac à dos est prêt. Non pas parce que je planifie tout très à l’avance mais parce que j’ai dû renoncer à ce trajet à deux reprises.
Le 23 février, lorsque je suis arrivé au sommet du Mt Pierce, le sentier sur la crête n’était pas évident à cause des accumulations de neige survenues deux jours auparavant. Et la visibilité était réduite. Et il ventait. Et il faisait très froid. J’ai donc renoncé à mon aventure et je me suis dirigé vers le Mt Lafayette qui présente un trajet beaucoup plus sécuritaire. J’étais très fatigué de mes semaines au travail si bien que j’ai écourté cette deuxième étape à deux boucles du Mt Lafayette « seulement » bon pour environ 40 km au total. Après une bonne nuit de sommeil dans le confort de mon lit, j’ai chaussé mes souliers de route pour franchir 50 km qui m’ont paru beaucoup plus facile malgré la pluie.
Et puis, une autre journée était possible pour moi : la journée de ma fête, le 5 mars. Mais comme on annonçait des températures extrêmement froides, j’ai laissé tomber le projet des Montagnes Blanches pour aller courir 50 km dans le secteur du Mont Mégantic et du Mont Gosford en Estrie.
Le 9 mars dernier, on annonçait des conditions meilleures pour m’aventurer sur la crête de la Présidentielle. Suivez-moi dans mon aventure.
Oiseau de nuit ou personne matinale?
« Why crossing the borders so late? »
Il est 3h15 du matin aux douanes américaines. J’ai osé le reprendre : « You mean early… »
Je me couche rarement tôt. Mais pour ce défi, je me suis couché vers 19h pour me réveiller à 1h15 du matin et quitter Sherbrooke à 2h25.
Le sommeil a été bon. J’ai beaucoup plus d’énergie pour faire la route vers mon point de départ à Mt Clinton Road sur la Route 302 que deux semaines auparavant.
En moins de 10 minutes, je suis prêt à partir. Mon sac de 15 livres sur le dos et mes bâtons dans les mains, je fais mon premier pas. Il est 5h du matin.
Un premier pas
Un premier pas décisif. Un pas toujours difficile à faire. Il me sépare d’une sécurité. Il m’arrache à la routine de la vie régulière. Et, il annonce une longue journée vers l’inconnu, livré aux imprévus que je rencontrerai sur mon trajet. Je ne dois pas me retourner, l’aventure m’attend.
Il fait noir. Pitch black. Une obscurité qui camoufle tout un univers. Émerveillement ou frayeur? Mes pensées basculent de l’un à l’autre. Seule ma lampe frontale éclaire le sentier. Une vision restreinte à ce faisceau. Tous mes autres sens sont à l’affût. Il n’y a que la Nature pour imprégner mon esprit de tout ce qu’elle peut m’offrir. Aucune autre stimulation qui abolirait mes sens.
Il fait froid. Environ -15°C. La forêt enveloppante réduit la sensation de froid. Normalement, une température trop basse est un critère pour ne pas m’aventurer sur la crête car je sais que j’y serai exposé longtemps et surtout, parce que j’y vais en autonomie complète et en loup solitaire. Mais, aujourd’hui, on annonce un ciel dégagé, une journée ensoleillé et des vents qui vont diminuer.
À l’abri des arbres, je progresse à un bon rythme. Tout est calme. Aucun bruit inhabituel. Une quiétude bienvenue. Aucune trace à redouter.
La crête et les sommets
Durant mon ascension, l’air devient plus froid et les vents trouvent un chemin entre les arbres. J’approche de la crête. Le jour se lève. Et puis, apparaît devant moi un point de vue de tous les sommets à parcourir. Me voilà rendu tout près du sommet du Mt Pierce. À cause du froid, je dois bien m’habiller et à cause des vents, je dois protéger mes yeux avec des lunettes de ski. Au cours des deux derniers jours, on a émis une mise en garde de froid intense et de risque d’engelure. Je dois demeurer prudent.
J’avance difficilement entre le Mt Pierce et le Mt Eisenhower. Les sentiers sont peu pratiqués. Il n’y a que quelques traces et parfois elles vont dans des directions différentes. C’est donc un peu plus long pour atteindre le deuxième sommet. Les crampons sont déjà chaussés et ils seront importants car les sentiers sont glacés. Les rafales de vent sont intenses. Elles me déportent. Je poursuis mon chemin.
Mt Franklin.
Mt Monroe.
Des kilomètres de sentiers glacés.
Et puis, Mt Washington. Accueilli par des rafales de 100 km/h. Le site web de la station météorologique au sommet de la montagne a enregistré des températures de -20 °C avec un facteur vent de -36. Il est 9h du matin. Avec ce froid, ma boisson sportive Procircuit X1 a gelé. Je devrai la décongeler en la mettant sous mes vêtements au niveau de mon ventre.
Ce vent, ce froid. À la merci de ces conditions. Des puissances de la Nature qui rendent notre existence si insignifiante. La vision que je pourrais avoir du haut des airs : un point minuscule sur cette étendue blanche. Mais, ce n’est pas mon point de vue. Comme l’écrit David Le Breton :
« La marche réduit l’immensité du monde aux proportions du corps. »
– David Le Breton
Je suis évidemment malmené par la nature mais je contrôle l’environnement immédiat où je dépose les pieds. Je longe un ravin. Tout est glacé. Je ralentis le pas pour m’assurer que mes crampons s’agrippent bien. Une glissade de quelques mètres vers ma droite et ce serait une chute vertigineuse vers le fond du ravin. Je vais certainement éviter cette section à mon retour.
Mt Clay.
Mt Jefferson. Quel point de vue sur le trajet parcouru et sur celui à venir!
Un peu avant le Mt Adams, il y a une section moins balayé par les vents. La neige y est accumulée. On traverse la pente en devers. C’est une pente qui me semble propice aux avalanches. Ce serait une longue glissade de près de 100 mètres. N’y pensons pas et ne glissons pas.
Mt Adams. Les vents s’intensifient à nouveau. Ils me semblent plus forts que sur le Mt Washington. Je ne m’attarde pas au sommet. Je vois mon point de demi-tour au loin : le sommet du Mt Madison.
Une descente vers le refuge Madison Hut et une montée de 30 minutes. Voilà le sommet du Mt Madison. En mouvement durant 7h15. Il est 12h15.
Le retour
Je prends 10 minutes pour manger puis j’entreprends mon voyage de retour. Mon point de vue est bien différent qu’à l’aller. Je cours à la poursuite du soleil. Un soleil éblouissant, un ciel sans nuage. Les sommets défilent rapidement.
Mt Adams.
Mt Jefferson.
Mt Clay.
Au sommet du Mt Washington, je rencontre deux skieurs. Chacun son sport extrême. Je préfère de loin mon aventure à la course.
Le Crawford Path m’amènera ensuite vers les derniers sommets de la Chaîne Présidentielle. Avec tous ces paysages glaciaux, ces contrées dangereuses, j’ai l’impression d’évoluer au-delà du Mur de Game Of Thrones.
Il y a eu plusieurs randonneurs durant la journée. Le sentier est mieux défini au retour. Au sommet du Mt Pierce, je porte un dernier regard sur les sommets au Nord. Près de 10 heures à plus de 4000 pieds d’altitude, au-dessus de la ligne des arbres, exposé dans cet univers qui semble immobile et glacial. Et pourtant ces forces invisibles, le vent et le froid, donnent un souffle de vie à ces montagnes.
Je m’engouffre dans les arbres pour entreprendre ma descente finale. Je dévale la pente en courant, en glissant. Je retrouve le confort de ma voiture après 47km et 12h50 de rando-course. On se revoit bientôt chers géants des Montagnes Blanches.
Cette sortie, la clé pour entamer ma saison de courses. Le coup d’envoi est donné. C’est à Boston que tout débutera officiellement avec un marathon en duo. Suivez ce lien pour la deuxième partie de cet article.
Sébastien Roulier (www.sebastienroulier.com)
Ultramarathonien, blogueur, conférencier, pédiatre, professeur, médecin gestionnaire et père de 3 enfants
Calories : Procircuit X1 et X4, quelques barres, purées de pommes et gummy
Liquide : 500 mL de liquide pour toute la journée
Souliers : Columbia – Montrail Caldorado III Outdry
Vêtements : Columbia Titanium (coupe-vent)
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