L’auteur Dan Millman décrit bien la quête du Guerrier pacifique dans son livre du même nom lequel a été également adapté au cinéma. Il dresse le portrait de celui qui va de découverte en découverte pour vivre d’une façon plus harmonieuse avec lui-même et avec le monde. Le Guerrier pacifique dont «l’état d’esprit [est] résolu, alerte, clair et libre de tout doute», dont «le corps [est] souple, flexible, sensible et plein d’énergie» et dont «le cœur aime chaque chose et chaque être». Les différents thèmes abordés dans cette œuvre sonnent beaucoup de cloches à mes oreilles. Je crois bien être un de ces Guerriers pacifiques…
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Assis confortablement dans mon fauteuil, je ferme les yeux et me remémore mon défi. Des frissons me parcourent et font trembler tout mon corps. Beaucoup d’émotions se bousculent. Et ceux qui m’auraient observé à ce moment, aurait noté un sourire. Le même sourire que j’aie arboré durant les 24 heures de ma course. Un sourire de fierté par tout ce que je venais d’accomplir et tout ce que je venais de vivre. Grâce à mes 25 montées et descentes, j’ai conquis le Mont Orford. Un dénivelé impressionnant. Je le reconnais. Un exploit en l’honneur des enfants de Leucan mais également un test pour d’autres courses à venir. Mais mon aventure m’a procuré beaucoup plus que des montées, du dénivelé ou des kilomètres.
À midi, le 26 septembre, le départ est donné. Rapidement, je trouve mon rythme. Celui dicté par la montagne. Nullement paniqué face à la tâche colossale à accomplir. Partant à la découverte de territoires inconnus. Avant ce défi, je n’avais gravi la montagne que trois fois d’affilé. Avant ce défi, je n’avais jamais couru plus de 20h30. Avant ce défi je n’avais jamais fait autant de dénivelé. Mais, aucunement pressé par le temps. Sans résister. Sans aucun souci. Je me laisse aller dans les montées. Un abandon dans les bras de cette nature si accueillante. Petites foulées. Petites étapes. Pour mener ma pierre sur mon cairn. Pour mener à terme mon défi. Les descentes, douces sous mes pieds. Des milliers de pas sur des nuages. Des muscles aucunement fatigués. Et une tête toujours alerte. Grugeant les montées et les descentes une après l’autre. Ajoutant une pierre pour ériger un cairn. Mon cairn, une métaphore de la résilience comme dans mon défi, comme le vécu des enfants de Leucan.
La nuit tombe. La chaleur aussi. Mais je poursuis toujours, en mouvement, avec quelques morceaux de linge supplémentaires. C’est dans la paix de la nuit fraîche que mes sens s’éveillent. La splendeur du ciel m’ébahit. Aucun nuage. La lune m’offre un éclairage que ma lampe frontale ne peut m’offrir. Elle est de connivence avec la montagne. Accueillante. Des milliers d’étoiles tapissent la toile dans laquelle j’avance. La brume se lève sur chacun des lacs de la région. Le spectacle est fantastique et magique. Je porte une attention à tous les sons de la nuit. Le souffle du vent est parfois froid et à certains endroits plutôt chaud. Parfois fort, parfois inexistant. Ces contrastes sont agréables. Ils gardent mon esprit éveillé. Mes pieds dansent dans les sentiers. Une proprioception sollicitée pour pallier à une vision moins bonne. Et que dire des odeurs de la nuit. Accentuées surtout par l’attention que j’y porte. Des fragments de pensée qui défilent. Et dans l’instant présent, j’évolue.
Agenouillé, un vent chaud souffle sur mon visage froid. Il provient d’une chaufferette installée dans le vestibule de la tente. Et voilà, j’avance ma tête dans l’ouverture. Le spectacle qui s’offre à moi me réconforte. Mes trois enfants dorment paisiblement. Aucunement affectés par le froid de la nuit. Une expérience de camping à la montagne. Un privilège. Et, je résiste. Après plus de 12 heures de course, j’entame maintenant la nouvelle journée. Mais, comme j’aimerais me blottir contre eux! Je résiste et les laisse poursuivre leurs rêves… et moi, je poursuis le mien…toujours éveillé. En entamant la montée, je revois leurs sourires durant toute la journée. Fiers de participer à mon projet. Fiers de me remettre la pierre à monter. Fiers de rayer une autre étape franchie. Et toujours débordant d’énergie jusqu’à très tard le soir. De jeunes bénévoles pour Leucan. Aucun mot ne peut remplacer l’exemple concret ou même l’expérience de vie. Et j’ai maintenant l’impression de les voir plus grands.
Je me rappelle les mots de mon garçon : « Tu sais papa? Ce n’est pas grave si tu ne fais pas 20 montées. » La sagesse d’un enfant. Il a déjà compris que la destination n’est pas importante. Le chemin emprunté, l’est bien plus. C’est probablement pour cette raison que je n’ai jamais abandonné une course. Je me permets d’explorer tout ce que chaque défi a à m’offrir. Et cette nuit, vers 4h du matin, lorsque j’atteins le sommet de l’Everest de 8848 mètres, soit 18 montées, je n’hésite pas à poursuivre.
Je suis seul lors de cette 18e montée et descente. Toute une coïncidence. Atteindre mon Everest seul après avoir passé une soirée et une nuit accompagné de coureurs aguerris. Les conversations avec les autres laissent place maintenant au discours intérieur. Tel un rite de passage qui me permet de réaliser l’ampleur du chemin parcouru et m’encourage à poursuivre. Outre cette 18e montée et descente, les gens s’insèrent dans mon parcours soit pour m’encourager ou bien pour m’accompagner. Et c’est là que réside tout le succès de mon défi. Une énergie me transporte. La solidarité. Une force allège chacun de mes pas. L’unité. Une mobilisation s’opère autour de mon défi tout comme les gens se mobilisent lorsqu’on annonce un diagnostic de cancer à un enfant. Même avant ma première foulée, le soutien offert par les responsables de Leucan Estrie et de Mont Orford garantit un événement spécial. Spécial à mes yeux. Spécial pour tous ceux venus m’encourager ou m’accompagner. Et comme j’ai assuré la majeure partie de l’organisation du défi, je compte bien traiter les gens avec courtoisie comme si chacun était un invité spécial et personnel. La montagne m’a accueilli. À mon tour d’accueillir les gens dans mon défi. Nul besoin d’une foule. C’est souvent une seule personne qui m’accompagne. Parfois 3, parfois 5. Des rencontres enrichissantes qui façonnent ma journée et qui me font oublier mes bobos. Je croise aussi plusieurs personnes sur mon parcours. Des gens qui ont mis à leur horaire chargé une montée de la montagne avec ou sans leurs enfants. Je les gratifie de mon plus beau sourire. Et que dire de ceux qui m’attendent au sommet pour s’accrocher à moi dans la descente ou simplement pour m’encourager en regardant la lune apparaître ou le soleil apparaître. J’ai aussi le privilège d’assister au dépassement de certains coureurs qui ont gravi la montagne 5, 7 et même 12 fois. Des connaissances, des collègues, des amis qui courent et marchent pour Leucan. Autant d’exemples concrets qui témoignent que mon projet a touché et mobilisé les gens.
Au matin, la noirceur laisse maintenant place à une journée ensoleillée. Les randonneurs assaillent la montagne. Au camp à la base de la montagne, les gens sont euphoriques. À cette cadence, je vais atteindre 25 montées et descentes. Bien au-delà du défi initial. Dans la tente, j’entends mes enfants jaser. Je les surprends dans une partie de UNO avec un nouvel ami. Lorsque je leur annonce le nombre de montées réalisées, j’ai droit à un simple « C’est beau. Tu as atteints ton défi. » Je comprends vite que je ne dois pas les déranger dans leur partie. J’ai tout de même droit à plusieurs câlins. Tout ce dont j’ai besoin pour terminer mon défi. Quelques heures après, j’entame ma dernière montée. Il est 10h50. Tout comme à ma 18e montée, je suis seul. Et là, j’ai l’impression que mon corps réclame du repos. Mais non. Je dois atteindre le sommet. Une lutte débute entre ma tête et mon corps mais je continue à avancer. Étonnamment, c’est toujours en 30 minutes que j’atteins le sommet. Aucune fanfare. Personne à qui crier ma joie. Je redescends alors tranquillement puis quelques coureurs se joignent à moi. Je croise mes trois enfants avec leur mère alors qu’ils marchent vers le sommet. Quelques câlins et je poursuis ma descente. Plus je descends, plus je gagne en vitesse. D’autres coureurs m’aident alors à étendre la banderole Leucan et au loin je peux distinguer la foule massée à la base de la montagne. Et toutes ces caméras et tous ces journalistes présents pour immortaliser mon exploit. Enfin. M’y voilà. Bras dans les airs. Très fier de mon aventure et surtout heureux de voir tous ces sourires qui me sont destinés. Il y a des expériences qui nous transforment. La course me transforme.
Très rapidement, je retombe les pieds sur terre. Entrevues. Questions. Douleurs dans les jambes. Trois enfants. Ranger le camp. Un tourbillon d’événements. Trop d’informations alors que tout ce que j’aurais aimé c’est me retirer, me reposer et analyser mon voyage. J’y parviendrai quelques heures plus tard après avoir rangé tout ce qui se trouvait dans la voiture, soupé avec mes enfants et organisé leur journée d’école du lendemain ainsi que ma journée de travail. Après 40 heures éveillées, enfin, je dépose ma tête sur mon oreiller.
Dès la fin de mon défi, j’ai eu une impression que je ne le referai jamais. La montagne m’a offert bien plus que je ne l’aurais espéré. La météo fut fabuleuse. Les gens impliqués ou touchés par mon défi m’ont procuré une énergie qui m’a propulsé dans celui-ci. Pourquoi entreprendre le même défi? Pour gravir 26 fois la montagne? Refaire le défi, ce serait accorder trop d’importance à une marque à battre. La performance importe peu ici. C’est plutôt la recherche de toutes les émotions vécues qui importe. Le contact avec les gens, l’éveil de tous mes sens, la générosité des sourires, le partage et j’en passe. Pourquoi le refaire en sachant qu’il sera difficile de réunir toutes ces variables à nouveau? Mais, il paraît qu’il ne faut jamais dire jamais. Mon défi prendra peut-être une autre forme dans le cadre d’un nouveau projet de levée de fonds pour Leucan.
Maintenant, je réalise très bien que c’est en m’éveillant aux autres, à ce qui m’entoure, à ce que je ressens que le succès de mes défis et de mes courses sera assuré. Comme je l’ai souvent écrit :
Courir pour moi c’est sentir et ressentir
C’est découvrir et se découvrir
C’est vivre et mieux vivre
C’est naître et se connaître
Courir c’est le bien être
C’est tout simplement être
Maintenant, je dois aussi ajouter :
Courir c’est rencontrer
Courir c’est partager et s’ouvrir
Courir pour s’épanouir et grandir
Ça prend du courage pour annoncer un tel défi. Mais c’est avec bravoure, détermination, sérénité et intégrité que je l’aie affronté. Et il faut être un Guerrier pacifique pour l’accomplir. Et c’est dans l’action de mon défi que j’ai compris que malgré des sentiers bien définis, j’ai découvert un territoire infini…bien ancré en moi. Le Guerrier pacifique n’a pas que conquis la montagne. Un Guerrier pacifique à la conquête de soi. Comme tous ces petits guerriers qui luttent contre le cancer.
Et malgré tout le succès de ce défi, je continue à explorer et à regarder devant. Je me laisse guider là où la course va me mener. Je dois avancer car tout ce dont je dispose réellement est l’instant présent…et mon succès, mon défi sont déjà du passé.
Et devant, il y a le Bromont Ultra. Une course de 160km qui débute le 10 octobre. Sans pression, je vais prendre le départ à 7h30 pour une boucle de 80km ou bien deux ou peut-être même plus. J’y vais surtout pour les festivités de la course en sentiers et découvrir ce coin de pays qui m’est inconnu. En cette fin de saison, je ne m’impose aucune obligation de résultat. Le weekend suivant, ce sera le XTrail à Orford. À nouveau, je pourrai fouler les sentiers tant foulés lors de mon défi. Et à plus long terme, j’envisage un marathon de Boston bien différent des neuf autres complétés. Il y sera question de partage et de rencontres. Et l’Ultra Trail du Mont Blanc (UTMB) pointe déjà à l’horizon comme un rendez-vous à ne pas manquer en août 2016.
Amateurs de statistiques, voici quelques données concernant mon défi :
Durée : 24 heures
Nombre de montées et descentes : 25
Dénivelé total: 12 250m / 40 000 pieds D+ et 12 250m / 40 000 pieds D-
Distance parcourue : 155 km
Calories ingérées : 7000-7500 calories dont plus de la moitié en boisson sportive Procircuit X1 et Gels Procircuit X4 Carb et le reste en barres tendres, fruits (melon, bananes) et patates.
Chaussures : 2 paires de souliers Montrail FluidFlex II
Dons pour Leucan : plus de 3700$
Des liens intéressants:
Sébastien Roulier gravit 25 fois le Mont Orford en 24h (reportage – Radio Canada)
Sébastien Roulier dompte l’Orford (article – La Tribune)
Sébastien Roulier relève son défi haut la main (article – Le Reflet du Lac)
Sébastien