Unlock 2019: Le premier pas

Alors que la Nature est en transition vers un printemps qui se réveille trop souvent  tardivement, une aventure épique dans les Montagnes Blanches (New Hampshire, É-U) en mars, c’est tout ce dont j’ai besoin pour éveiller le guerrier en moi. C’est mon évènement charnière et déterminant pour bien entamer ma saison de courses. Ce rendez-vous annuel dans un monde pouvant être hostile par moment avec des froids glaciaux et des vents démesurés commande le respect.

Pourquoi ce pèlerinage dans les hautes montagnes alors?

Je n’ai pas de réponse claire.

C’est un appel qui va bien au-delà de l’entraînement.

Repousser la routine. S’évader. S’autoriser des moments avec soi-même, des moments de réflexion. Se retrouver dans une situation de vulnérabilité face à ces géants que sont les sommets des Montagnes Blanches et trouver la force de les vaincre. Relever des défis loin du confort.

Je dois entretenir ma flamme de l’aventure, explorer, avancer. Par ces défis j’exprime le guerrier en moi et forge ma personnalité.

Le trajet sera long, les conditions météorologiques seront imprévisibles, les ascensions seront difficiles, le sol sera glacé. Il y a bien des obstacles à surmonter sur le chemin. Autant de situations qui créeront de nombreux souvenirs. Autant d’opportunités à trouver des solutions et à apprendre. Je devrai être vigilant et utiliser chacun de mes sens pour progresser.

Vivre le moment présent, c’est surtout de cela qu’il est question.

Retour sur la Chaîne Présidentielle

Les trois dernières années, ma destination était le Mt Lafayette où je montais et descendais la montagne à plusieurs reprises pendant 9-10 heures. Mais cette fois, je veux renouer avec la Chaîne Présidentielle des Montagnes Blanches pour y faire une double traversée, du Mt Pierce au Sud jusqu’au Mt Madison au Nord, en passant par le sommet du Mt Washington qui culmine à 1917 mètres ou 6288 pieds, et revenir sur mes pas.

Trajet empruntant le Crawford path et le Gulfside Trail en passant par chacun des sommets
Dénivelé du parcours

Depuis trois semaines, mon sac à dos est prêt. Non pas parce que je planifie tout très à l’avance mais parce que j’ai dû renoncer à ce trajet à deux reprises.

Le 23 février, lorsque je suis arrivé au sommet du Mt Pierce, le sentier sur la crête n’était pas évident à cause des accumulations de neige survenues deux jours auparavant. Et la visibilité était réduite. Et il ventait. Et il faisait très froid. J’ai donc renoncé à mon aventure et je me suis dirigé vers le Mt Lafayette qui présente un trajet beaucoup plus sécuritaire. J’étais très fatigué de mes semaines au travail si bien que j’ai écourté cette deuxième étape à deux boucles du Mt Lafayette « seulement » bon pour environ 40 km au total. Après une bonne nuit de sommeil dans le confort de mon lit, j’ai chaussé mes souliers de route pour franchir 50 km qui m’ont paru beaucoup plus facile malgré la pluie.

Et puis, une autre journée était possible pour moi : la journée de ma fête, le 5 mars. Mais comme on annonçait des températures extrêmement froides, j’ai laissé tomber le projet des Montagnes Blanches pour aller courir 50 km dans le secteur du Mont Mégantic et du Mont Gosford en Estrie.

Le 9 mars dernier, on annonçait des conditions meilleures pour m’aventurer sur la crête de la Présidentielle. Suivez-moi dans  mon aventure.

Oiseau de nuit ou personne matinale?

« Why crossing the borders so late? »

Il est 3h15 du matin aux douanes américaines. J’ai osé le reprendre : « You mean early… »

Je me couche rarement tôt. Mais pour ce défi, je me suis couché vers 19h pour me réveiller à 1h15 du matin et quitter Sherbrooke à 2h25.

Le sommeil a été bon. J’ai beaucoup plus d’énergie pour faire la route vers mon point de départ à Mt Clinton Road sur la Route 302 que deux semaines auparavant.

En moins de 10 minutes, je suis prêt à partir. Mon sac de 15 livres sur le dos et mes bâtons dans les mains, je fais mon premier pas. Il est 5h du matin.

Un premier pas

Un premier pas décisif. Un pas toujours difficile à faire. Il me sépare d’une sécurité. Il m’arrache à la routine de la vie régulière. Et, il annonce une longue journée vers l’inconnu, livré aux imprévus que je rencontrerai sur mon trajet. Je ne dois pas me retourner, l’aventure m’attend.

Il fait noir. Pitch black. Une obscurité qui camoufle tout un univers. Émerveillement ou frayeur? Mes pensées basculent de l’un à l’autre. Seule ma lampe frontale éclaire le sentier. Une vision restreinte à ce faisceau. Tous mes autres sens sont à l’affût. Il n’y a que la Nature pour imprégner mon esprit de tout ce qu’elle peut m’offrir. Aucune autre stimulation qui abolirait mes sens.

Il fait froid. Environ -15°C. La forêt enveloppante réduit la sensation de froid. Normalement, une température trop basse est un critère pour ne pas m’aventurer sur la crête car je sais que j’y serai exposé longtemps et surtout, parce que j’y vais en autonomie complète et en loup solitaire. Mais, aujourd’hui, on annonce un ciel dégagé, une journée ensoleillé et des vents qui vont diminuer.

À l’abri des arbres, je progresse à un bon rythme. Tout est calme. Aucun bruit inhabituel. Une quiétude bienvenue. Aucune trace à redouter.

La crête et les sommets

Durant mon ascension, l’air devient plus froid et les vents trouvent un chemin entre les arbres. J’approche de la crête. Le jour se lève. Et puis, apparaît devant moi un point de vue de tous les sommets à parcourir. Me voilà rendu tout près du sommet du Mt Pierce. À cause du froid, je dois bien m’habiller et à cause des vents, je dois protéger mes yeux avec des lunettes de ski. Au cours des deux derniers jours, on a émis une mise en garde de froid intense et de risque d’engelure. Je dois demeurer prudent.

Mon terrain de jeu pour la journée

J’avance difficilement entre le Mt Pierce et le Mt Eisenhower. Les sentiers sont peu pratiqués. Il n’y a que quelques traces et parfois elles vont dans des directions différentes. C’est donc un peu plus long pour atteindre le deuxième sommet. Les crampons sont déjà chaussés et ils seront importants car les sentiers sont glacés. Les rafales de vent sont intenses. Elles me déportent. Je poursuis mon chemin.

Mt Franklin.

Mt Monroe.

Des kilomètres de sentiers glacés.

Et puis, Mt Washington. Accueilli par des rafales de 100 km/h. Le site web de la station météorologique au sommet de la montagne a enregistré des températures de -20 °C avec un facteur vent de -36. Il est 9h du matin. Avec ce froid, ma boisson sportive Procircuit X1 a gelé. Je devrai la décongeler en la mettant sous mes vêtements au niveau de mon ventre.

Au sommet du Mt Washington

Ce vent, ce froid. À la merci de ces conditions. Des puissances de la Nature qui rendent notre existence si insignifiante. La vision que je pourrais avoir du haut des airs : un point minuscule sur cette étendue blanche. Mais, ce n’est pas mon point de vue. Comme l’écrit David Le Breton :

« La marche réduit l’immensité du monde aux proportions du corps. »

– David Le Breton

Je suis évidemment malmené par la nature mais je contrôle l’environnement immédiat où je dépose les pieds. Je longe un ravin. Tout est glacé. Je ralentis le pas pour m’assurer que mes crampons s’agrippent bien. Une glissade de quelques mètres vers ma droite et ce serait une chute vertigineuse vers le fond du ravin. Je vais certainement éviter cette section à mon retour.

Mt Clay.

Mt Jefferson. Quel point de vue sur le trajet parcouru et sur celui à venir!

Sommet du Mt Jefferson : Point de vue vers le Sud

Un peu avant  le Mt Adams, il y a une section moins balayé par les vents. La neige y est accumulée. On traverse la pente en devers. C’est une pente qui me semble propice aux avalanches. Ce serait une longue glissade de près de 100 mètres. N’y pensons pas et ne glissons pas.

Mt Adams. Les vents s’intensifient à nouveau. Ils me semblent plus forts que sur le Mt Washington. Je ne m’attarde pas au sommet. Je vois mon point de demi-tour au loin : le sommet du Mt Madison.

Au sommet du Mt Adams

Une descente vers le refuge Madison Hut et une montée de 30 minutes. Voilà le sommet du Mt Madison. En mouvement durant 7h15. Il est 12h15.

Le retour

Je prends 10 minutes pour manger puis j’entreprends mon voyage de retour. Mon point de vue est bien différent qu’à l’aller. Je cours à la poursuite du soleil. Un soleil éblouissant, un ciel sans nuage. Les sommets défilent rapidement.

Mt Adams.

Vers le Mt Jefferson

Mt Jefferson.

Mt Clay.

Vers le Mt Washington

Au sommet du Mt Washington, je rencontre deux skieurs. Chacun son sport extrême. Je préfère de loin mon aventure à la course.

Deuxième passage au sommet du Mt Washington

Le Crawford Path m’amènera ensuite vers les derniers sommets de la Chaîne Présidentielle. Avec tous ces paysages glaciaux, ces contrées dangereuses, j’ai l’impression d’évoluer au-delà du Mur de Game Of Thrones.

Il y a eu plusieurs randonneurs durant la journée. Le sentier est mieux défini au retour. Au sommet du Mt Pierce, je porte un dernier regard sur les sommets au Nord. Près de 10 heures à plus de 4000 pieds d’altitude, au-dessus de la ligne des arbres, exposé dans cet univers qui semble immobile et glacial. Et pourtant ces forces invisibles, le vent et le froid, donnent un souffle de vie à ces montagnes.

Je m’engouffre dans les arbres pour entreprendre ma descente finale. Je dévale la pente en courant, en glissant. Je retrouve le confort de ma voiture après 47km et 12h50 de rando-course. On se revoit bientôt chers géants des Montagnes Blanches.

Cette sortie, la clé pour entamer ma saison de courses. Le coup d’envoi est donné. C’est à Boston que tout débutera officiellement avec un marathon en duo. Suivez ce lien pour la deuxième partie de cet article.

Sébastien Roulier (www.sebastienroulier.com)

Ultramarathonien, blogueur, conférencier, pédiatre, professeur, médecin gestionnaire et père de 3 enfants

Calories : Procircuit X1 et X4, quelques barres, purées de pommes et gummy

Liquide : 500 mL de liquide pour toute la journée

Souliers : Columbia – Montrail Caldorado III Outdry

Vêtements : Columbia Titanium (coupe-vent)

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