5 marathons en 3 souffles

Sri Chinmoy Ultras Ottawa – une course de 24h. Déjà rendu à cette course. Ça me semblait si lointain il y a peu de temps. C’est donc dire que le Spartathlon approche aussi. Et je vais bâtir ma confiance pour courir les 246 km en Grèce grâce à cette course qui débute bientôt, à 8h le samedi 28 juillet.

Courir pendant 24 heures. Je l’ai déjà fait à 3 occasions lors de mes défis au Mont Orford. Mais cette fois, ce sera sur le plat, sur une boucle de 1.9 km que je vais répéter et répéter et répéter…

Comment mon corps va réagir? Je me remémore mon premier 100 milles. Les muscles de mes jambes durs comme le roc, une respiration superficielle, des murmures en guise de parole, un corps qui s’épuise. C’était bizarre. La sensation d’un corps qui se déchire en lambeaux. Et même si je voulais me réfugier dans mon esprit, la fatigue rendait toute réflexion difficile. Mais descendre aussi creux et en remonter, c’est renaître, c’est se sentir vivant. Un corps qui guérit, une tête qui grandit, un baluchon qui s’emplit.

Par la suite, dans chacune de mes longues courses ou longs défis, il y a eu des passages plus difficiles mais, je n’ai jamais atteint un point aussi creux qu’en 2013. La course, c’est mon entraînement à la résilience. M’adapter. Réagir aux imprévus. Garder intacts mes fonctions mentales (même si certains diront que courir autant c’est une maladie mentale) même quand le corps flanche.

Dans la course qui débute bientôt, je vais dépasser les 200 km. Une zone inconnue. Et je pars à la découverte de l’inconnu, moi.

Ma course débute dans quelques heures et je n’arrive pas à dormir. Un mal de tête aussi. La coupe de vin était peut-être de trop? Mais le repas était bon. La compagnie aussi. Un bel accueil d’amis de Gatineau. Bon!!! Je devrai composer avec ce que mon corps aura à offrir.

Je me lève à 6h pour manger et me préparer pour la course. J’arrive sur les lieux une heure avant le départ pour bien installer ma station de ravitaillement. Aucune équipe avec moi. Je devrai être efficace dans mes arrêts au puits.

Je fais la connaissance du sympathique directeur de course et je me présente à celui qui notera chacun de mes tours. On peut perdre le compte assez rapidement en tournant en rond comme je vais le faire. Il y a donc un bénévole désigné pour enregistrer mes tours.

Les coureurs sont invités à s’aligner pour la photo protocolaire.

Nous sommes une trentaine. Une course aux allures internationales avec une délégation russe, des Turcs, un autre originaire de l’Inde. Il y a des plus jeunes et des plus vieux aussi.

Le départ est donné.

Premier souffle

Combien de temps durera ce souffle? Au départ, l’énergie est à son maximum…et les ambitions aussi. Je dois me retenir pour ne pas aller vite. Je prends les devants. Les tours s’accumulent rapidement. Pour les 10 premiers tours, je prends mes temps de passage. Puis, je décide que la journée va être longue si je persiste à faire cela. Je vise tout de même 120-130 tours. À partir de ce moment, je n’estimerai plus mes temps de passage. Courir sans chrono.

Le premier marathon se déroule bien mais un point de pression au niveau de mes pieds m’agace. Je fais donc un changement de souliers pour mieux continuer.

Même si tourner en rond sur le circuit de 1.9 km est répétitif, je suis surpris à quel point je trouve cela intéressant. Ce n’est pas si monotone. Les coureurs devant moi sont toujours différents. J’en dépasse plusieurs à maintes occasions aussi. Certains marchent et d’autres clopinent déjà. On s’encourage tous mutuellement. Et la luminosité change aussi. Le soleil poursuit sa course dans le ciel.

Voilà, déjà 100km en 8h50. Il reste encore beaucoup d’heures à courir.

 

 

 

 

 

 

 

 


L’après-midi était très chaud. J’ai ralenti. Mon avance se réduit graduellement. Une forte pluie va aider à rafraîchir l’air juste avant le crépuscule.

J’atteins le 100 milles en 15h57 toujours premier. C’est mon 86e tour.

Mon souffle perd de la vigueur. Mais, j’ai toujours cette volonté de poursuivre. Il y a de bons tours et d’autres où je marche un peu. Un coureur, celui originaire de l’Inde, Ullas, me dépasse après 90 tours environ. Je savais bien qu’il grugerait ma précieuse avance. Sa foulée est fluide, sa stature en mouvement, bien droite. Aucun signe de fatigue. Moi, mes pas sont lourds et je m’enfonce.

Je dois continuer et passer ce moment difficile. Tout se passe dans la tête. Persévérer. Éviter l’immobilité. Espérer un second souffle.

Certains des coureurs que j’ai dépassés plusieurs fois plus tôt me dépassent à leur tour. Je m’accroche un peu, on jase un peu puis je les laisse filer. Ils ont moins de kilomètres parcourus, c’est vrai, mais ils ont commencé en même temps que moi. Ça fait déjà plusieurs heures…et il en reste encore plusieurs.

Deuxième souffle

Ullas a maintenant 2 tours d’avance sur moi. Il arrive à ma hauteur pour me dépasser à nouveau. Nous jasons un peu. Il semble avoir un peu de difficulté. Ses pieds accrochent le sol à chacune de ses foulées. Je me dis alors : « Tiens!!! Je vais accélérer pour voir sa réponse ». Il ne me suit pas.

Ah!!! Chacun ses moments de faiblesse. Ma motivation et mon énergie sont orientées vers mon nouvel objectif : le rattraper. Un animal qui se réveille. Le coup de fouet dont j’avais besoin. Ça m’arrive d’être un peu compétitif. J’ai tout de même une vingtaine de minutes à gruger.

Et j’y arrive.

Lorsque je le dépasse, il me dit être incommodé par des nausées. Je lui mentionne d’essayer le Ginger Ale. Ça peut aider. Et je lui donne un conseil « Don’t give up. Anything can happen ».

Je me sens invincible. En passant au niveau de l’aire de départ, après environ 100 tours, je lève le poing en criant à mon compteur de tours « I’m back in the lead !!!». Il semble aussi heureux que moi. Les paris sont ouverts parmi les bénévoles, chacun ayant leur prédiction. Il reste encore 5 heures à la course. Certains coureurs ont arrêté leur course, d’autres marchent ou clopinent encore. J’approche de mon 200e kilomètre. Et je sais que tout peut arriver.

Après quelques kilomètres sur ce high : Bang!!! Je frappe un autre mur. L’énergie chute. Le manque de sommeil n’aidant pas.

Et comme plus tôt, je dois continuer et passer ce moment difficile. Tout se passe dans la tête, encore. Persévérer. Éviter l’immobilité. Espérer un troisième souffle.

Je garde le sourire quand même.

« J’te fais moins travailler maintenant », que je lance à mon compteur de tours.

Et bien sûr, je me fais dépasser à nouveau par Ullas. J’aurais peut-être dû lui suggérer de prendre une pause à la place de l’encourager ;-). Mais, c’est de bonne guerre. Il a une belle foulée et semble filer vers la victoire. Il doit bien rester près de 2 heures à la course. Le ciel est nuageux, l’air matinal est frais. Je suis vraiment fatigué et j’ai besoin de mon boost de fin de course : le coca-cola.

Dans la dernière heure, le directeur de course nous demande de voter pour la personne nous ayant le plus inspirée. Sans hésitation, je donne le nom de Ullas. En fait, j’ai plutôt dit « Celui qui va gagner la course».

Je n’ai pas jeté la serviette sur la course pour autant. Je continue quand même à avancer…lentement.

Troisième souffle

Pour bien terminer ma course, je change mes souliers à nouveau. Mon plus long arrêt de toute la course (quelques minutes). J’alterne course et marche. Et, je trouve bizarre que malgré ma lenteur, Ullas ne me rattrape pas. Je décide donc d’accélérer le pas juste pour voir si je peux le rejoindre.

Au loin, je l’aperçois. Il marche. C’est ma chance. J’accélère et de façon convaincante, je le dépasse. À nouveau premier. Je suis revenu à une cadence comme en début de course : 5:15-5:30 min/km. Là, je me remets à calculer mes temps de passage. J’ai le temps de faire 2 autres tours. Tout s’est donc joué dans la dernière demi-heure. Ullas arrête son compteur à 216km.

Mon dernier tour. Je suis le seul coureur à pouvoir poursuivre avec environ 15 minutes à écouler. Mon tour de la victoire. Mais c’est bien plus que cela. Le moment le plus émotif depuis bien longtemps. Des larmes sur mes joues. Quelques sanglots aussi. My God!!! Je dois vraiment être fatigué pour pleurer comme ça. Plein d’émotion. Du bonheur. Le bien-être. La pression qui tombe. Une fierté de compléter la course. La satisfaction d’avoir trouvé un 2e et un 3e souffle.  Une renaissance. Quelles batailles!!! Face aux autres coureurs, le parcours, la durée, la fatigue, contre moi avec cette montagne russe de hauts et de bas qui amène des questionnements et plein de réflexions. Je lève les bras dans le dernier 100 mètres en criant à plusieurs reprises: « Woooh oooh!!!! ». Je me sens vraiment bien.

Vidéo du finish

Retour à une respiration normale

220 kilomètres (soit 5 marathons + 9km).

117 tours (sans être étourdi).

24 heures.

Aucune ampoule.

Quelques amis sont venus m’encourager et me féliciter pour cette fin de course. C’est très apprécié. Et que dire des liens créés avec les bénévoles le temps d’une journée. C’est super.

À la remise des prix, j’accepte volontiers les trophées qu’on me remet : celui pour ma 1ere position et celui pour la meilleure performance pour un coureur participant à sa première course de 24 heures.

Après une bonne douche, j’essaye de me reposer. Je n’ai aucune position confortable. Aussi bien retourner à Sherbrooke tout de suite. Cinq heures de route (avec quelques arrêts pour me dégourdir les jambes). Bon, j’aurai eu une nuit de sommeil en moins dans le weekend finalement. Mon travail d’intensiviste-pédiatre aide certainement à gérer ces 24 heures et plus sans dormir.

Ma récupération a été phénoménale. J’ai eu bien plus souvent de la difficulté à descendre les escaliers après mes courses en montagne. Peu de raideur aussi. Un parcours plat, c’est doux pour les muscles finalement. J’ai pu reprendre la course 2-3 jours après.

Cette performance me permettra sûrement d’être de la sélection canadienne pour les Championnats Mondiaux de 24h en Autriche en mai 2019. Je le saurai en février prochain.

Mais avant, il y a le Spartathlon. Avec mon 220km, je me sens prêt physiquement et mentalement à suivre les traces du messager-coureur Pheidippides qui a trouvé sa place dans les écrits d’Hérodote en courant d’Athènes à Sparte.

À mon tour d’écrire mon histoire en allant livrer mon message à Léonidas 1er de Sparte à la fin septembre.

 

– Sébastien

www.sebastienroulier.com

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Une réponse à 5 marathons en 3 souffles

  1. Francois dit :

    Toutes mes félicitations Sébastien! C’est une performance vraiment impressionnante.

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