Dialogue intérieur dans les Alpes

57bdaf6c80bcfC’est la nuit. Une nuit d’encre avec un ciel étoilé et un petit croissant de lune. Aucun vent, ou presque. Une température clémente malgré l’altitude de 2500 mètres. Je suis assis sur une roche. Des roches, il n’y a que ça dans cette section. Je suis à l’écart du sentier et je regarde défiler les lumières frontales des autres coureurs devant moi. Je suis invisible dans les montagnes. Ma frontale, elle est éteinte comme mon énergie. Je cherche à comprendre.

Dix heures plus tôt, je quittais Chamonix avec 2500 autres coureurs pour parcourir le trajet de LA course d’ultra-trail, l’UTMB. Comme coureur, j’étais rendu là. De bons entraînements pour me forger physiquement et psychologiquement à accomplir ce périple de 170 km et 10000 mètres de dénivelé tant positif que négatif autour du Mont Blanc. Un passage vers d’autres défis. Mais là, mon passage est plutôt à vide. Je cherche à comprendre.

Un escargot sur la montagne. C’est comme ça que je me sens. Incapable d’arrêter l’hémorragie de coureurs qui me dépassent depuis l’ascension vers le Col du Bonhomme. Des briques dans les jambes. Aucun rythme. Face à mon corps qui m’abandonne, j’envisage l’abandon. Depuis les 5-6 dernières heures, j’y pense. Je cherche à comprendre.


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Il y a plusieurs éléments de réponse qui surgissent. Le décalage horaire. Je ne suis arrivé que 2 jours avant le départ de la course. La chaleur. Les vallées de la région connaissent depuis quelques jours une canicule où le mercure dépasse les 30°C. L’altitude. Au-delà de 2000 mètres, rien ne va. Le stress d’avant-course. Habituellement, ce n’est pas un problème majeur mais depuis mon arrivée à Chamonix, j’ai l’impression de n’avoir aucun contrôle sur comment ma course se déroulera. Parmi le matériel obligatoire, ma veste n’était pas conforme. J’ai dû faire un achat sur place. Mais, je me suis aussi questionné sur chacune des pièces de mon équipement car ce peut être la disqualification immédiate si on nous contrôle avec une pièce inadéquate. Bref, je n’étais satisfait de mon sac de départ que 3 heures avant le coup d’envoi.

Profil_UTMB2016Bon. C’est bien beau toutes ces explications, mais là, je suis toujours assis sur une roche à 2500 mètres d’altitude en Italie près du Col des Pyramides Calcaires. Machinalement, je remets mon sac et je repars sur le sentier en surprenant quelques coureurs qui ne m’ont pas vu. Je n’ai plus envie de lutter contre la montagne. J’avance à son rythme. Et je suis bien avec cette décision malgré que plusieurs coureurs me dépassent encore. Je pense alors à Forest Gump qui court au bout de sa rue, au bout de son village, au bout de son état et des États-Unis juste pour voir ce qu’il y a au bout du chemin. Eh bien, je décide de courir de sommet en sommet et de village en village juste pour voir ce qu’il y a, juste pour voir ce que je pourrais y découvrir. Et si j’ai besoin de m’arrêter, je m’arrêterai. Et ça prendra le temps que ça prendra.

L’ultra-marathon, c’est une course d’attrition. À ce moment précis, je décide que je ne ferai pas partie des statistiques d’abandons. Et tranquillement, je me tourne vers mes forces et je décide de bâtir ma course autour de celles-ci. Mon endurance et ma détermination (ou mon mental). Au fil des kilomètres suivants, je change ma perception face à la course. Elle devient une rando-course comme beaucoup de mes sorties dans les White Mountains. Elle devient un voyage avec son lot de difficultés. Et tranquillement, je trouve du positif dans chacun de mes pas. La montée vers l’Arête du Mont Favre est beaucoup plus facile. Et le paysage qui s’offre à moi aux premières lueurs du jour est féérique. Au-dessus des nuages avec quelques sommets au loin qui dépassent.

C’est rempli d’une nouvelle énergie que j’entame la descente vers Courmayeur où m’attend un sac de survie; un sac avec tous mes effets personnels pour bien entamer la deuxième moitié du parcours. Et là, je me surprends à dévaler les pentes dans la descente. Quelle liberté de négocier les nombreux switchbacks!!! Comme si je dansais dans les sentiers. Et à maintes reprises, je dépasse des coureurs. Me voilà enfin à Courmayeur, au kilomètre 80, en environ 13h35. Il est 7h35 du matin.

Pour qu’il y ait une cassure entre ma nuit difficile et la journée qui débute, j’en profite pour me laver et me changer. Je prends une pause pour manger aussi. Je ne suis pas du tout bousculé par le temps. Je croise Benoît du Québec qui se demande bien ce que je fais là. « On ne peut pas toujours avoir de bonnes journées… mais l’important c’est que je continue. »


Je suis maintenant prêt à affronter cette journée. L’épreuve se manifeste très rapidement. Dans l’ascension vers le Refuge Bertone, les nuages se dissipent et le soleil et sa chaleur accablante se pointent. Voilà. Je ne lutterai pas contre la montagne mais je ne lutterai pas contre la chaleur non plus. Toute la journée, je me fais griller comme un poulet. Aucun nuage. Aucun vent. Et la chaleur est présente en altitude aussi. J’ai beaucoup de difficultés à courir. Mais, encore, je retrouve mon rythme dans la descente du Grand Col Ferret vers Champex-Lac. Ça fait un peu plus de 24 heures que je suis en mouvement maintenant. Plus que 3 montagnes à gravir et à descendre sur une distance de 45 kilomètres. Avant de quitter Champex-Lac, je croise un autre Québécois qui arrive tout juste au ravitaillement, Nicolas. Je quitte tout de même pour poursuivre mon périple dans cette deuxième nuit. Le ciel est menaçant mais on m’a rassuré que l’orage ne devrait pas sévir.


 


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Mais, les épreuves se succèdent dans mon aventure. Dans la montée vers la Giète à 2000 mètres, la pluie débute finalement. Elle devient grêle pour quelques instants mais n’empêche pas les coureurs de poursuivre. La noirceur est bien installée. Et tout près du sommet, les éclairs déchirent le ciel à un rythme épeurant. Notre groupe de coureurs est littéralement dans l’orage. Nous hésitons à poursuivre et prenons une pause, toujours sous les arbres, pour évaluer la situation. D’autres, par contre, décident de poursuivre leur chemin. Parmi ceux-ci, il y a Benoît et Nicolas. Finalement, nous poursuivons l’ascension pour être accueilli au sommet par de forts vents, une pluie battante et encore des éclairs. J’accélère le pas pour maintenir ma chaleur. Je suis vraiment heureux d’avoir un bon équipement pour affronter les conditions dans lesquelles je suis présentement. J’entends maintenant une cloche qui tinte. Les Européens encouragent souvent en faisant sonner une grosse cloche à vache. Le point de contrôle au sommet est sûrement proche. Mais non. J’arrive face à face avec un gros bétail qui semble confus par l’orage qui fait rage (à moins que ce ne soit à cause des hurluberlus avec leurs lampes frontales…). Chacun poursuit son chemin. Cette orage me rafraîchit et me donne toute l’énergie nécessaire pour rallier Trient. Alors que la nausée me guettait durant toute la journée, mon corps réclame maintenant à manger. Et je mange fruits, biscuits, fromage et pain. Ah…Toute l’énergie qui m’envahit. Et je me sens d’attaque pour le prochain sommet. Et d’un bon pas, je quitte Trient pour La Catogne. Je suis surpris avec quelle rapidité je gagne le sommet. Dans l’ascension, je jase avec un Italien qui semble beaucoup plus efficace que moi dans la montée. « Ce n’est qu’une question de rythme… ». Bien, moi, aujourd’hui, mon rythme, je l’ai dans les descentes.

Plus que un sommet et c’est la longue descente vers Chamonix. Un peu avant la Tête aux Vents, je rejoins Nicolas. Il semble toujours aussi fort que lorsque je l’ai croisé plus tôt. D’un commun accord, nous décidons de compléter la course ensemble. Nous sommes prudents dans la descente. Ce n’est pas le temps de bousiller la fin de course avec une chute. Et c’est en jasant tranquillement en allant vers Chamonix que nous complétons la course en 36h47 bon pour la 300e position.


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Plus tard nous apprendrons que la course aura été difficile pour plusieurs coureurs. Plus de 50% des coureurs ont abandonné. Mais comme je me l’étais promis, je n’ai pas fait partie de cette statistique.


« On ne fait pas un voyage. Le voyage nous fait et nous défait, il nous invente. »

David Le Breton

Un long dialogue intérieur pour poursuivre et atteindre finalement le fil d’arrivée. Cette course aurait pu totalement me désappointer et m’abattre à cause du temps réalisé très loin de mon potentiel. J’ai eu des remises en question notamment concernant mon prochain défi au Défibrose Mont Orford et les prochains Championnats Mondiaux de Trail. Mais non!!! Cette course me confirme encore plus que j’aime courir, j’aime les sentiers, j’aime les montagnes, j’aime le plein air, j’aime les défis… surtout quand c’est difficile. Cette course sera réellement un passage vers d’autres défis et d’autres courses.

Les montagnes, qu’elles soient réelles ou la métaphore des épreuves et des difficultés de la vie se surmontent en les abordant une étape à la fois, et souvent, avec l’aide des autres. Merci Nicolas pour cette fin de course.

Allez!!! Maintenant, joignez-vous à moi le 1er octobre prochain lors du Défibrose Mont Orford.

Sébastien

(www.sebastienroulier.com)

Équipement et énergie:

Montrail: souliers Fluid Flex FKT et Caldorado Outdry

MHW: Supercharger Shell Jacket et Stretch Ozonic Pant

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