Créer son rythme à Boston

« La meilleure façon de prédire l’avenir c’est de le créer. » — Peter Drucker


Quelques jours avant la course : Le doute

Mon expérience du New Jersey vient tout juste de se terminer. Je dois déjà penser à ma prochaine course. Bientôt, je serai sur le départ de la 120e édition du Marathon de Boston. Ce sera mon 10e Boston consécutif. Quand la date de péremption sur ma pinte de lait correspond à la date du Marathon de Boston, je sais que cet événement arrive à grands pas. Et depuis 2012, j’ai l’impression d’avoir trouvé une formule gagnante puisque toutes mes expériences du marathon depuis cette année-là sont agréables. Et pour moi, agréable, c’est courir à un bon rythme jusqu’aux montées, gérer ces montées sans perdre de vitesse, attaquer les derniers 7-8 km tout en dépassant de nombreux coureurs, et surtout, courir du début à la fin avec le sourire, porté par la foule et les bénévoles du marathon.

Mais, il persiste un doute. Mon endurance est là. Même beaucoup plus qu’il n’en faut. Mais, le marathon est une course de vitesse et pour être à l’aise dans un marathon, il faut avoir fait des sessions à intensité plus élevée. Et ça, j’en ai fait un peu moins. Avec mon virage ultra, je cours souvent, je cours longtemps, mais pas très vite. Je peux quand même me rassurer puisque certains évoquent le fait que courir lentement permet de courir plus vite et plus longtemps. Il y a la fatigue aussi. La semaine qui suit ma course de 100km est plutôt occupée au travail. Je dois réduire mon kilométrage de courses. Je ne peux pas courir autant que je le veux. Mais la fatigue n’est peut-être pas due qu’au travail. Mon corps envoie peut-être des signaux pour annoncer qu’il doit se rétablir du stress reçu lors des dernières semaines. Mon alimentation est plus difficile aussi. Manger devient une tâche en soi. Bref, je ne suis pas là où je veux être pour entreprendre la période qui précède mon marathon. Mais, il y a un point positif, comme la nature vit sa transition printanière, je délaisse les sentiers pour courir sur la route. J’ai l’impression que ceci réactive certaines voies nerveuses. Le contact du pied sur l’asphalte. La vitesse. Les sensations de courir sur la route. Et tranquillement ma fatigue se dissipe. Aussi, pour chasser mes doutes, je ne m’impose aucune cible de temps. Pour lever la pression engendrée par un temps à atteindre, j’entrevois mon marathon comme un long entraînement tempo.

Beaucoup de gens ont besoin d’une période d’affûtage (taper) avant une course. Mais, c’est difficile. On court moins, on se sent lourd, on a beaucoup trop de temps pour penser à la course qui s’en vient. Mentalement, ça nous affecte car il nous manque ce qui nous a habités tous les mois précédents : courir. Disons, que je vois la semaine qui a suivi mon 100km comme une semaine d’affûtage. Par contre, j’aime bien être en progression pour arriver à ma course. Comme si mon corps, déjà en mouvement, accepte mieux la course. C’est peut-être ma tête aussi qui l’accepte mieux car je connais bien ce que c’est courir. Je le fais à tous les jours. Mais, je connais moins le fait de ne pas courir. Au bout du compte, cependant, il faut trouver une formule dans laquelle on se sent bien, une formule que l’on choisit et qu’on ne regrettera pas. En gardant une pensée positive, on accentue la confiance dans ses capacités et on écarte tout ce qui pourrait faire déraper notre tête. Par conséquent, la semaine précédant mon marathon, j’ai fait de bonnes sorties pour nourrir mes muscles et surtout ma tête. Trois jours avant le marathon, je courais 30km en sentiers. Et le lendemain, c’était 20km, toujours en sentiers. Durant cette semaine-là, mon appétit vorace est revenu. Un appétit où tous les fruits et légumes réclamés par mon corps goûtent bons. Et pour citer Obélix : « Quand l’appétit va, tout va ! ». Je venais de passer à une autre étape dans ma saison.

La veille de la course : Le pèlerinage

Enfin! La veille du Marathon. Il est temps de faire le voyage vers Boston. Je dois récupérer mon dossard au Centre-ville. Je décide de laisser ma voiture à Cambridge afin de courir jusqu’au Hynes Convention Center de Boston. En fait, j’ai l’intention de relier tous les endroits qui évoquent des souvenirs heureux quand je viens à Boston pour le Marathon. Je cours le long de la Rivière Charles. Je passe devant le parc où mes enfants s’amusaient dans mes autres voyages. Puis, je rejoins le bâtiment pour récupérer mon dossard. Mais je ne m’y attarde pas trop. Dès ma sortie, je me dirige vers les terrains de l’Église de Scientologie. Avec mes enfants, à chaque année, nous prenions une photo sous les jets d’eau. Je ne m’y aventure pas cette année car l’air est frais malgré le soleil. Ensuite, je cours pour rejoindre le fil d’arrivée du Marathon sur la rue Boylston. Cette portion de rue est fermée à la circulation et plusieurs personnes en profitent pour se photographier. Puis, ma prochaine destination est l’Avenue Commonwealth. Je passe chacune des statues qui y sont érigées. Des bribes d’histoire. Finalement, j’arrive au parc Public Garden – Boston Common. La journée est ensoleillée. J’emprunte plusieurs chemins dans le parc avant d’accéder à une passerelle qui me mène à nouveau le long de la Rivière Charles. Sur mon retour, j’en profite pour faire un arrêt à un terrain de baseball et de soccer. C’est là qu’à chaque année je fais mes accélérations et mes éducatifs la veille de la course. Et puis, je retourne à ma voiture pour ensuite rejoindre mon motel à environ 30 minutes au nord de Boston. Après un bon repas et après avoir tout préparé pour le lendemain matin, je me couche pour une bonne nuit de sommeil.

Le jour de la course : Le rituel

Le sommeil a été excellent. Aucune nervosité. La routine avant le départ du marathon. Tranquillement, j’enfile mon linge de course et celui qui me tiendra au chaud avant le départ. Je mange en roulant vers Boston. Je gare ma voiture non loin du fil d’arrivée. Telle une procession, déjà, des centaines de coureurs se dirigent vers les autobus qui nous amèneront jusqu’à Hopkinton, un petit village à l’ouest de Boston. Tout est bien orchestré par l’organisation pour faire de cette journée une belle réussite. Le trajet est plutôt long pour nous amener au point de départ. Dans l’autobus, je fais la connaissance d’un coureur de la Californie. Il a ses doutes… Moi, plus aucun. Notre chemin se sépare dès notre sortie de l’autobus. Je me dirige vers la même section du Village des Athlètes que les années précédentes. J’étends une couverture par terre, sur le gazon, dans la partie ensoleillée, et je m’allonge. Mes pensées vont au rythme de ma respiration. Le calme avant la frénésie du départ. Une heure étendu dans la foule mais avoir l’impression d’être seul.

Le Marathon : Créer son momentum

Voilà. On demande aux coureurs de la première vague de se diriger vers leurs corrals / enclos. Graduellement, je dévoile mon habit de course en enlevant le linge qui me tenait au chaud auparavant. Mon dossard, maintenant visible, me fait réaliser le privilège que j’aie de prendre le départ de cette course mythique. Courir pour le plaisir et courir vite sans aucune cible de temps,  sans aucune pression. Je suis le superhéros qui acquiert ses pouvoirs avec son armure ou son habit. Je suis l’artiste qui réunit ce qu’il juge essentiel pour être plus réceptif. Je révèle ainsi les outils, l’univers qui me permettront de m’abandonner dans la course et créer. Et je vais composer avec ce que mon corps m’offre aujourd’hui.

Plus de mille coureurs sont devant moi au départ. Comme à chaque année, plusieurs commencent leurs courses plus vite qu’il ne le devrait. Je me laisse aller dans ce flot d’individus sans forcer le pas. Les premiers kilomètres, en descente, dicteront comment mon corps tolèrera les derniers kilomètres, aussi en descente. Je suis prudent. La matinée est plus chaude également. Je m’hydrate à chaque point d’eau. Ma cadence est plutôt régulière et mes temps de passages à chaque 5km sont bons et constants.

La foule est immense. Dispersée tout au long du parcours. Ceux qui cherchent à trouver un confort dans leur bulle oublient que s’ouvrir à l’autre peut nous propulser. Je perçois tous les encouragements de la foule qui scande le nom inscrit sur mes bras (SEB) ou qui crie ce qui apparaît sur mon gilet (GO CANADA!). Je les remercie d’un mouvement de la main. Je ne pousse pas l’audace à me jeter dans les bras des filles de Wellesley College dont les cris se font entendre bien avant qu’on ne les voit. Et quand j’aperçois des coureurs aller les embrasser, je souris en me disant que peut-être celui-là vient d’attraper un herpès labial…

Au fil des kilomètres, je me laisse transporter par les encouragements de la foule. Je suis ébahi par tous ces bénévoles dévoués. J’oublie ainsi mes pieds endoloris et bien d’autres douleurs. Je me laisse aller au gré du dénivelé ondulant. Et quand arrive la série de 3 montées entre  le 28e km et le 35e km, j’accentue la cadence, j’utilise mes bras pour aider ma foulée, je regarde bien loin devant… la pente semble plus douce ainsi. Et puis j’entends GO SEBASTIEN!!! Quelqu’un qui me connaît sur le parcours. C’est Paul. Un coureur de la région que j’ai croisé dans quelques courses. Une énergie contagieuse. Ça me donne le coup pour terminer en force la montée de la côte Heartbreak Hill.

Et c’est là que le marathon commence réellement. C’est là que plusieurs souffrent des kilomètres rapides du début du marathon. La descente est cruelle pour plusieurs. C’est à partir de là que je trouve ce marathon intéressant. Bon, je n’ai pas toujours dit cela dans le passé. Oh! Mais attention !! Je ressens une tension dans mon ischio droit. Ça m’arrive souvent dans cette section du parcours. Je ralentis juste assez pour laisser passer ce début de crampe. Ce changement de foulée permet à mes muscles de s’habituer à la descente et je peux reprendre une grande vitesse après quelques secondes. Je ne serai plus embêté par les crampes jusqu’à la fin.

Il y a toujours beaucoup de monde sur le parcours. Je ne réalise pas le nombre important de coureurs que je dépasse. Par contre, j’ai l’impression que la foule n’encourage que moi parmi les coureurs qui m’entourent. J’ai une bonne cadence qui se démarque. Et je poursuis sur ma lancée. Mon gel ProCircuit avec caféine me donne l’énergie nécessaire pour bien terminer ma course.

Le dernier kilomètre est ahurissant. Juste avant de tourner sur Boylston, je lance au coureur à côté de moi, un Québécois : « C’est pour ça que j’y reviens à chaque année maintenant ». La fête de la course à pied. Une foule endiablée qui nous donne des ailes pour terminer en force. Voyant le chrono au loin s’approcher du 2h48, j’accélère pour finalement passer la ligne d’arrivée officiellement en 2h47:39 bon pour la 360e position sur près de 30000 coureurs.

Et là, je remercie plusieurs bénévoles sur mon chemin alors que je récolte ma médaille et mon lunch d’après-course. Ma démarche n’est pas trop atteinte. Comme je suis un des premiers à quitter par la sortie de la rue Berkeley, deux personnes m’interpellent en me demandant si j’ai gagné le marathon. « Euh! Non. Pas vraiment. Les gars en avant sont bien plus rapides. » Mais, ils ne vont pas aller faire ce que je m’apprête à faire…

Le 27e mile : Une escapade

13h15. À peine 30 minutes après la fin de mon marathon et me voilà déjà dans ma voiture. J’ai un autre projet en tête. Je l’avais planifié depuis quelques jours. Une nouveauté dans ma formule pour solliciter mes muscles en situation de fatigue. Une petite folie pour pousser l’adaptation de mon corps à un autre niveau. Pour être bien préparé à ma course UTMB dans quelques mois.

 

Sur le chemin du retour, j’arrête au Franconia State Park. Mon objectif : faire la boucle du Mont Lafayette. Je veux tester mes nouveaux souliers : les Trans Alps de Montrail. Je suis un peu raide de mon voyage en voiture. 16h. Je commence ma 2e aventure de la journée. Je prends bien soin de réviser tout ce que je transporte. Je ne veux rien oublier qui pourrait compromettre ma rando-course. Je dois quand même respecter la montagne même si je suis habitué à ses sentiers. Je fais la boucle en sens antihoraire. Le sentier Falling Waters est bien dégagé dans sa portion basse. Et les passages à gué se font sans danger. Mais après la dernière chute, la glace est omniprésente. Moi, j’ai mes crampons. Mais plusieurs randonneurs ne les ont pas. Quelle négligence!!! J’en aurai besoin jusqu’à la crête qui elle, se court très bien. J’arrive au sommet du Mont Lafayette alors qu’une petite pluie débute.

J’en profite pour prendre quelques photos et, je repars dans la descente. Il y a des sections glacées dans la forêt avant d’atteindre le refuge et dans la descente de Old Bridle. Ma foulée n’est aucunement gênée par le marathon couru quelques heures auparavant. En montée et en descente, j’ai l’impression d’utiliser des muscles très différents de ceux sollicités plus tôt dans la journée. J’arrive finalement à ma voiture après 3h15 de rando-course sous le regard étonné d’un randonneur croisé plus tôt dans ma montée alors que lui descendait. Lorsque je lui mentionne mes réalisations de la journée, je crois entendre  le mot crazy avant qu’il ajoute toute l’inspiration que ça lui procure, lui qui va courir son premier demi-marathon plus tard cette année.

Trois jours après ce beau lundi 18 avril, j’ai déjà récupéré de ce doublé. Je suis déjà dans une autre aventure dans les Montagnes Blanches pour une rando-course de 6h cette fois. Et peu de temps après, c’est le Défi de la Famille des Écoles Privées dont je suis le Président d’honneur. Un petit 14km précédé de 6km et suivi de 8km.


Et maintenant:

Mon corps a guéri de toutes ces aventures

Ma tête a grandi

Prêts pour créer d’autres aventures !!!


Et mon prochain défi sera à Bear Mountain, NY dans le cadre du North Face Endurance Challenge. Une course de 80km le 30 avril. Et, je prévois une autre folie sur mon retour…

Sébastien

(www.sebastienroulier.com)

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